ORDRES DANS L'ANCIEN RÉGIME
Les trois ordres, ou états selon la formule médiévale (clergé, noblesse, tiers état), abolis par la Révolution dès 1789, représentaient une classification idéale des rapports socio-politiques, traditionnelle en Europe depuis la stabilisation du régime féodal (xiie-xiiie s.). Cette répartition juridique en trois groupes, parfois rattachée à la transmission d'un symbolisme ésotérique, organisait une division des tâches et la reproduction indéfinie des statuts sur la base de croyances sacralisant le pouvoir, les hiérarchies établies et l'histoire elle-même. Les commentateurs classiques, tel C. Loyseau au début du xviie siècle, voyaient dans le système un agencement divin. Les Occidentaux ont largement utilisé leur fonds religieux pour distinguer « l'en-haut » aristocratique, composé de ceux qui prient ou combattent (oratores, bellatores), de « l'en-bas » roturier, encore appelé le commun, où se classent tous les hommes libres travaillant de leurs mains (laboratores), à l'exclusion des serfs formant une catégorie à part. D'autres cultures ont connu des différenciations comparables, dont la théorie peut être plus complexe et la nature plus radicalement ségrégationniste (castes) ; en chaque cas, la religion joue un rôle essentiel pour fixer le sens des démarcations. Au xviiie siècle, en France, la sécularisation avancée des institutions, les changements économiques et le progrès des idéaux égalitaires avaient rendu caduque la distinction fonctionnelle des ordres.
D'après le droit, ceux-ci se différencient à de nombreux points de vue. Ainsi, les successions, le régime des mineurs varient selon la qualité des personnes ; de même, les biens ecclésiastiques, en principe inaliénables, sont soumis à des règles particulières. Plus remarquable est la disproportion entre statuts fiscaux, les privilèges immémoriaux des deux premiers ordres ayant perpétué l'infériorité des roturiers, par ailleurs écartés de certains emplois supérieurs dont l'exercice suppose la noblesse. La conquête de tels avantages, auxquels s'ajoute le prestige accordé par tradition culturelle aux fonctions sublimes (donc refusé aux fonctions inférieures du monde marchand), devait être un puissant stimulant à l'ascension du tiers état, rendue possible grâce aux règles qui faisaient communiquer les ordres entre eux.
Cette perméabilité des frontières s'explique par le système lui-même et par les stratégies sociales. Puisque le mariage était interdit aux clercs, le clergé ne pouvait se recruter qu'en puisant dans les deux autres ordres. L'immense fortune ecclésiastique était dès lors l'enjeu d'une compétition, arbitrée par la monarchie qui s'autorisait de son concordat (signé avec le pape en 1516) pour sélectionner les candidats aux bénéfices ; au xviiie siècle, la noblesse avait ainsi conquis la plupart des évêchés, abandonnant à la roture le bas-clergé. Mais cette noblesse, juridiquement une, était elle-même articulée sur le tiers état, dont elle absorbait la partie la plus riche par les procédures de l'anoblissement ; par exemple, le fisc avait multiplié les charges anoblissantes, vendues à ces bourgeois enrichis qui poussaient leurs enfants dans la judicature, et cette noblesse dite de robe supplanta en bien des régions la noblesse d'extraction militaire. À l'inverse, il arriva à des nobles, le plus souvent appauvris, de se livrer aux tâches subalternes réservées au dernier ordre ; y avait-il pour eux perte du statut privilégié ? La dérogeance, matière très réglementée, organisa une sorte de statut intermédiaire et protégé, soulignant ainsi jusqu'à la veille de la Révolution que la distinction des trois ordres était progressivement devenue un étiquetage vieilli, servant d'abri à des groupes sociaux beaucoup plus diversifiés qu'à l'époque féodale,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre LEGENDRE : auteur
Classification
Autres références
-
ALLEMAGNE (Histoire) - Allemagne moderne et contemporaine
- Écrit par Michel EUDE et Alfred GROSSER
- 26 883 mots
- 39 médias
La société allemande des xviie et xviiie siècles est essentiellement une société d'ordres (Stände), de statuts où les privilèges correspondent à des fonctions beaucoup plus qu'à des classes, au sens moderne du mot. -
ANCIEN RÉGIME
- Écrit par Jean MEYER
- 19 103 mots
- 3 médias
...caractérise plus exactement que ses formes successives de gouvernement. Pérennité d'ordre d'abord juridique, résumée par la fameuse hiérarchie des trois ordres : noblesse, clergé, tiers état. On peut répéter après tant d'autres que cette subdivision est loin de correspondre à la mouvante réalité sociale,... -
ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Architecture et société
- Écrit par Antoine PICON
- 5 782 mots
Idéalement, l'architecture doit exprimer la grandeur du prince, celle des premiers de ses sujets, puis le système descendant des conditions qui contribue à structurer les sociétés d'ordres d' Ancien Régime. « Les ordres sont dignités permanentes et attachées à la vie des hommes »,... -
AUTRICHE
- Écrit par Roger BAUER , Jean BÉRENGER , Annie DELOBEZ , Encyclopædia Universalis , Christophe GAUCHON , Félix KREISSLER et Paul PASTEUR
- 34 125 mots
- 21 médias
...sont privées de tout droit politique, et bien souvent de droits civils. Vers 1650, la composition de la diète, expression politique de cette société d' ordres, est à peu près semblable dans chaque pays. Le premier ordre est le clergé : il est composé des évêques et des chefs des principaux couvents, qui... - Afficher les 14 références