ORDRES RELIGIEUX
Que des hommes ou des femmes, pour des motifs religieux, adoptent un mode d'existence qui, de quelque façon – principalement en raison du célibat volontaire ou de la vie en communauté –, les situe de manière originale dans la société de leur temps n'est pas un phénomène exclusivement chrétien ; la communauté de l'Alliance de Qumrān est antérieure à Jésus-Christ, et le bouddhisme d'aujourd'hui compte des milliers de moines. Le développement considérable des réalisations de « vie religieuse » constitue néanmoins un des faits les plus caractéristiques de l'histoire du christianisme.
Tandis que dans l'Empire devenu officiellement chrétien l'Église s'établit et développe ses institutions, nombre de chrétiens, sans rompre tout commerce avec la société, choisissent néanmoins de mener un genre d'existence qui les en sépare.
Ces vies séparées constituent un phénomène si frappant qu'il suscite un important effort de réflexion, à la fois pour définir les valeurs dont il se réclame, pour donner consistance aux formes selon lesquelles on veut les vivre, pour sauvegarder la fidélité profonde de ceux qui s'y vouent totalement.
Quelques valeurs sont ainsi soulignées dans lesquelles les réflexions et normalisations ultérieures découvriront comme les éléments constitutifs de toute « vie religieuse » : le célibat volontaire, qu'on rattache volontiers au chapitre vii de la Première Épître aux Corinthiens (cependant la distinction entre précepte et conseil ne deviendra un cadre général de pensée qu'au milieu du Moyen Âge) ; la vie matérielle communautaire, souvent considérée (de saint Pacôme à saint Augustin) comme un moyen privilégié d'obéir au commandement nouveau donné par Jésus-Christ ; l'effort ou combat (ascèse) pour la maîtrise de soi et la pureté du cœur, effort équilibré par une profonde humilité intérieure, sous la conduite d'un ancien expérimenté dans la recherche de Dieu (saint Antoine, Cassien).
Développement et diversification des institutions
De la réforme carolingienne (ixe siècle) à la réforme grégorienne (xie-xiie), tandis que s'accentuent cloisonnements et hiérarchies à l'intérieur de la société féodale et que prend naissance la science du droit canonique, les distinctions s'affirment et s'organisent de plus en plus entre les différentes catégories de chrétiens selon leur état de vie ou leur fonction, puis entre les différentes familles religieuses elles-mêmes, qu'on appelle désormais des « religions ».
Les décisions prises à Aix-la-Chapelle (815, 816), qui imposent des normes communes et le contrôle des visiteurs extérieurs aux habitants des cloîtres, contribuent à généraliser chez les moines et les moniales l'application effective de la règle bénédictine, à aménager la vie communautaire d'un plus grand nombre de clercs. La rédaction de coutumiers locaux, si elle consacre une certaine diversité des usages, reflète surtout et entretient le souci d'une existence juridiquement ordonnée jusque dans ses détails quotidiens.
C'est là le point de départ d'un développement institutionnel que renforcera notablement, dans le climat « romain » de la réforme grégorienne, le recours relativement fréquent aux approbations et garanties du Siège apostolique. Jouant de privilèges d'exemption, réformateurs et fondateurs substituent, à la tutelle de pouvoirs locaux extérieurs – laïques ou ecclésiastiques –, la tutelle, plus homogène, d'un ou plusieurs autres établissements religieux analogues. Des ensembles parfois considérables se forment ainsi, qui se caractérisent à la fois par leur manière de concevoir la vie claustrale et par le type de société qu'ils constituent. Le terme depuis longtemps classique d'ordo s'enrichit d'un nouveau sens.[...]
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Écrit par
- André DUVAL : dominicain, archiviste de la province de France
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