ORDRES RELIGIEUX
Les frères mendiants
Refusant la nouveauté, le IVeconcile du Latran l'appelle en fait et la cautionne lorsqu'il prescrit d'instituer en toute cité épiscopale des charges de prédicateurs et de professeurs de théologie. Qui, en effet, réalise ce programme sinon frères prêcheurs et frères mineurs, initiateurs – avec l'appui clairvoyant des papes – de formes inédites de vie religieuse ?
Rapidement assez nombreux, mais ramenés théoriquement à quatre par le concile de Lyon (1274), les ordres mendiants, si différents soient-ils à l'origine, s'apparentent par la préoccupation de rejoindre les hommes de leur temps en témoins et annonciateurs de l'Évangile, tout en se voulant – par le mode radical de leur pauvreté – totalement libérés des attaches du monde. L'idéal traditionnel d'imitation des apôtres s'éclaire désormais pour eux des consignes données par Jésus à ceux qu'il envoie prêcher (Luc, x).
La préoccupation de porter la foi relevant de leur engagement religieux comme tel, ils sont de fait au xiiie siècle les ouvriers d'un audacieux effort missionnaire. La ténacité de l'offensive de clercs séculiers pour refouler frères de toute robe à l'intérieur de leurs cloîtres ne trompe point sur la réussite de ceux-ci dans l'approche des populations urbaines, réussite sans laquelle d'ailleurs la condition parasitaire de leur économie ne serait pas viable.
Si marqués qu'ils demeurent en effet par les doctrines et les usages monastiques, les ordres mendiants, organiquement mêlés à la vie scolaire et universitaire et souvent en avance sur leurs contemporains par les structures communautaires de leur gouvernement, appartiennent à cette nouvelle forme de civilisation qui se cherche dans le développement des villes médiévales. Par leur prédication, les associations qu'ils suscitent et dirigent, leurs multiples contacts personnels, ils contribuent à y nourrir la foi et à y maintenir un certain sens des valeurs évangéliques. Mais, plus proches du monde, les voici plus perméables aussi à ses ferments : ambition de faire carrière, âpreté de la lutte pour l'influence ou la défense de privilèges acquis, intrigues et coteries. Les réformes elles-mêmes, si nombreuses au xve siècle, ne s'accomplissent assez souvent qu'au prix de pénibles divisions. Chez les frères mineurs, l'évangélisme de saint François se maintient difficilement, se heurtant à la résistance des institutions ou explosant dans la contestation des « spirituels ».
L'influence des mendiants amorce de loin les formes modernes de la vie religieuse féminine. Certes, toutes les moniales demeurent – théoriquement du moins, car le droit n'est que médiocrement appliqué – sous le régime de stricte clôture défini par Boniface VIII ; mais, en deçà des engagements que sanctionne le vœu solennel de religion, il existe un grand nombre de béates, sœurs du troisième habit ou du tiers ordre, souvent groupées dans des communautés régulières tout en s'adonnant, dans leurs propres maisons ou au-dehors, à l'assistance des malades et des pauvres.
De Latran IV (1215) à Latran V (1512-1517), il n'y a peut-être pas de concile général où la question des séculiers et des réguliers ne s'inscrive à l'ordre du jour. C'est dans les perspectives de ce conflit toujours plus ou moins latent que s'est élaborée une théologie devenue classique de la vie religieuse dans le cadre d'une doctrine générale des « états de perfection ». En dépit de la justesse et de l'équilibre des formulations de Thomas d'Aquin faisant de la charité l'unique critère, les catégories « hiérarchiques » du Pseudo-Denys imposées par le contexte polémique du xiiie siècle n'ont peut-être pas été sans favoriser, aussi bien chez les fidèles que chez[...]
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Écrit par
- André DUVAL : dominicain, archiviste de la province de France
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