ORDRES RELIGIEUX
Du XVIe au XXe siècle : dépassement des solutions acquises
Trois forces s'affirment au xvie siècle : critique évangélique, réinvention, juridisme conservateur, dont le jeu antagoniste commandera l'évolution des formes de vie religieuse jusqu'aux radicales remises en question d'aujourd'hui, après l'euphorie du IIe concile du Vatican.
Monachatus non est pietas (« ne pas confondre pratiques des cloîtres et valeur spirituelle »), c'est au nom de ce culte en esprit et en vérité qu'Érasme déploie une critique impitoyable du formalisme religieux. C'est aussi au nom de l'Évangile et de la liberté du chrétien que Luther s'en prend aux vœux de religion, centrant sur les usages monastiques sa dénonciation de l'exploitation abusive des « œuvres » au détriment de la foi.
L'humaniste et le réformateur donnent expression et vigueur à des idées déjà en travail dans les esprits et les comportements. La perception d'un certain relent d'érasmisme dans les premières démarches de son fondateur n'est pas étrangère aux difficultés rencontrées par la Compagnie de Jésus naissante. En fait, Ignace de Loyola se veut d'autant plus traditionnel qu'il se sent novateur. Si l'attachement personnel à Jésus-Christ Sauveur est au cœur de son charisme, peut-être s'agit-il moins d'imiter un modèle que de suivre un chef, ce roi dont le service est un honneur, ce maître de la vigne qui à son gré embauche, utilise et rétribue ses ouvriers, n'attendant d'eux que leur entière disponibilité. Dégagée des lourdes armatures monastiques, c'est dans sa mystique et ses techniques d'obéissance que la Compagnie de Jésus trouve sa cohésion et son efficacité, devenant rapidement, aussi bien pour l'action politique que pour l'invention missionnaire, une des forces les plus puissantes du catholicisme moderne.
Ce n'est pas au concile de Trente lui-même, dont la révision qu'il opère du droit des réguliers et des moniales (1563) apparaît plus timide que réactionnaire, mais bien plutôt à la politique de son application qu'il faut attribuer le durcissement de l'appareil juridique dans la plupart des ordres religieux, objet et instrument à la fois de la centralisation pontificale qui s'organise désormais dans les congrégations romaines. À l'inverse de la congrégation de la Propagande, stimulante et novatrice à bien des égards, la congrégation des Évêques et Réguliers se caractérise davantage par son rôle conservateur. Instituée en 1586 principalement pour trancher des conflits locaux, elle devient rapidement un organe législatif et, surtout depuis son autonomie comme congrégation des Religieux (1908), une instance quasi habituelle de gouvernement. Sous un droit général de plus en plus minutieux, les familles religieuses en viennent à ne plus se distinguer les unes des autres que par des singularités secondaires, tandis que prend force le postulat d'une tension nécessaire entre « vie religieuse » et « activités apostoliques », celles-ci étant plus ou moins considérées comme dangereuses en soi et devant en conséquence être rééquilibrées par les exercices et obligations de la vie régulière.
La rigidité des catégories canoniques n'étouffe pas partout l'invention ; parfois même elle la stimule. Les sociétés de prêtres sans vœux sont une réplique à l'intangibilité du statut d'exemption des réguliers ; mais elles favorisent, notamment chez Bérulle et ses disciples, une opportune revalorisation des engagements baptismaux comme des exigences de la condition sacerdotale. Tandis que les « religieuses » sont nécessairement cloîtrées, saint Vincent de Paul préfère pour ses Filles de la charité le dévouement total aux pauvres. Ainsi, à côté des « religions » répondant exactement aux normes[...]
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Écrit par
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