ORFEO ED EURIDICE (C. W. von Gluck)
Cet Orphée fameux est une œuvre fondatrice qu'il est difficile d'appréhender sous un angle unique : Christoph Willibald von Gluck (1714-1787) en laissa deux versions distinctes : Orfeo ed Euridice, « azione teatrale », et Orphée et Eurydice, « drame héroïque » ; ces deux versions seront elles-mêmes revisitées par plusieurs arrangeurs aux xixe et xxe siècles, au premier rang desquels il faut citer Hector Berlioz.
Orfeo ed Euridice est un opéra italien sur un livret de Ranieri de' Calzabigi, créé au Burgtheater de Vienne le 5 octobre 1762. Cette première représentation vit la convergence de cinq artistes soucieux de renouveler l'esthétique théâtrale. Calzabigi était un auteur « engagé », proche des philosophes français des Lumières. Gluck était un compositeur déjà célèbre, apprécié tout autant pour ses opere serie italiens que pour ses opéras comiques français. L'architecte Giovanni Maria Quaglio réalisa pour la création de somptueux décors néoclassiques qui frappèrent les esprits. Les ballets étaient réglés par Gasparo Angiolini, apôtre du ballet-pantomime et précédent collaborateur de Gluck pour son balletDon Juan (1761). Le rôle principal était confié au castrat contralto Gaetano Guadagni, chanteur aux moyens vocaux limités, mais doué d'un prodigieux talent de tragédien qu'il avait cultivé à Londres auprès du célèbre acteur David Garrick, promoteur d'un « jeu réaliste », en rupture avec les conventions classiques.
Le 2 août 1774, Gluck, ancien maître de musique de la nouvelle reine de France Marie-Antoinette, fut invité à l'Académie royale de musique de Paris pour diriger Orphée et Eurydice, une adaptation largement aménagée de son Orfeo viennois, sur un nouveau livret de Pierre Louis Moline. Ce dernier conserva la trame dramatique et l'essentiel de la structure poétique (l'acte II mis à part). Toutefois, son livret ne doit pas être considéré comme une traduction, tant il s'éloigne de l'original italien par son style et sa peinture des sentiments. De même, les différences musicales sont nombreuses et profondes ; le rôle-titre est confié à un haute-contre (ténor aigu), Joseph Le Gros ; l'orchestre est « modernisé » : les cornets à bouquins, les chalumeaux et les cors anglais de la version viennoise disparaissent au profit des clarinettes. Gluck fit publier chez deux éditeurs (Le Marchand et Le Laurier) la partition de son nouvel opéra en 1774.
Entre ces deux versions, Gluck avait dirigé un autre arrangement de son Orfeo italien, dont le rôle-titre était destiné à un castrat soprano. Cette version « intermédiaire » ne connaîtra aucune postérité.
Le 18 novembre 1859, le Théâtre lyrique de Paris vit renaître Orphée, dans une nouvelle version française arrangée par Hector Berlioz. Celui-ci emprunta aux deux versions viennoise et parisienne et fit de profondes transformations. La principale concerne le rôle d'Orphée, qu'il destina à une femme contralto travestie, Pauline Viardot, qui apporta sa contribution à l'arrangement, sous la forme de cadences virtuoses. Cette ultime version sera la plus fréquemment employée par la suite : les castrats ont disparu et la tessiture suraiguë des hautes-contre français est devenue trop périlleuse pour les ténors pratiquant les seuls « aigus de poitrine ». Cependant, la version Berlioz fut elle-même arrangée à plusieurs reprises, en particulier traduite en italien (mais aussi en allemand et en anglais), rendant l'imbroglio des sources plus opaque encore.
Argument
L'action se situe aux alentours du tombeau d'Eurydice : « Pour conserver l'unité de lieu de ce poème, on suppose que son tombeau est placé dans une campagne voisine du lac d'Averne, qui conduit à l'entrée des Enfers » (livret imprimé chez Delormel, 1774).
Acte I. Une ouverture[...]
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Écrit par
- Denis MORRIER : professeur d'analyse et de culture musicale à l'École nationale de musique de Montbéliard et au Conservatoire national supérieur de musique de Paris
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