ORGANISATION, économie
Hiérarchie, coopération, contrats
Nonobstant leurs différences, ces approches convergent sur des points cruciaux, au cœur de l’analyse moderne des organisations. D’abord, quelle est la nature du mécanisme de coordination mis en œuvre ? L’analyse économique classique s’intéressait quasi exclusivement à l’allocation des ressources par le système des prix, qui caractérise les marchés. Mais, toute organisation formelle réaffecte sans cesse les ressources physiques et humaines en interne, sans ajustement des prix. Par exemple, la modification des tâches ne donne pas lieu à d’incessantes renégociations des salaires. C’est même là l’essence du contrat de travail. Le dispositif de coordination sous-jacent est évidemment celui de la hiérarchie. Compte tenu de l’importance de celle-ci, il est étonnant que sa nature et son rôle restent aussi mal connus et si peu intégrés aux modèles économiques existants. Mais la théorie des organisations nous apprend que la coordination hiérarchique a aussi ses insuffisances et peut même devenir contre-productive en raison des distorsions qu’elle introduit dans l’information et dans les motivations des agents. Aussi les organisations formelles complètent-elles le pouvoir hiérarchique par la coopération. Bien qu’essentiel au bon fonctionnement des organisations, le concept de coopération reste difficile à cerner, en partie parce que le postulat central de l’analyse économique dominante suppose des comportements égoïstes et non coopératifs. Les apports de l’économie expérimentale, dans la lignée des travaux de Vernon Smith (distingué en 2002 par le prix Nobel d’économie), confirment l’insuffisance de ce postulat et le rôle des motivations résultant des interdépendances entre agents au sein de l’organisation.
Les contrats peuvent aider à implanter ces comportements coopératifs. Ils contribuent en effet à articuler les préférences différenciées des membres de l’organisation, en balisant l’action des agents et en mettant en place des incitations faisant appel à des mécanismes variés. Les contrats participent aussi à la création d’interfaces entre l’organisation et son environnement, en structurant les liens entre organisations, ou même avec la puissance publique. Mais, le plus souvent, les contrats restent incomplets : ils fournissent un cadre, rendant crédibles les engagements des agents, sans pour autant énoncer les principes et les règles avec la précision qu’exige le pilotage de l’action au quotidien.
Une grande partie des problèmes de l’organisation émergent en effet ex post, au moment de la mise en œuvre des contrats. On touche ici à la question de l’enforcement, c’est-à-dire des « dispositifs d’application ». Ceux-ci sont en partie interne à l’organisation, par exemple un comité d’entreprise chargé d’ajuster les clauses contractuelles ; ils peuvent aussi lui être extérieurs, par exemple les arbitres régulant les relations interorganisationnelles, les tribunaux chargés de l’application du droit du travail, etc. Par là, l’organisation s’encastre fortement dans son environnement institutionnel, et c’est là un aspect de l’analyse qui s’est beaucoup développé sous l’influence de Douglass North (Institutions, Institutional Change, and Economic Performance, 1990).
Confrontée à ces exigences d’adaptation, soumise à la pression des tensions internes, mais aussi aux changements qui affectent l’environnement, l’organisation innove, ou disparaît. Le thème de l’innovation, longtemps appréhendé sous le seul angle technologique, est devenu un axe de recherche important en théorie des organisations. Les changements de structures et les modifications d’agencement entre agents au sein de l’organisation deviennent un élément indispensable à la compréhension de l’invention technique et surtout de sa mise en application, qui conditionne les[...]
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Écrit par
- Claude MÉNARD : professeur de sciences économiques à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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