ORGUEIL ET PRÉJUGÉS, Jane Austen Fiche de lecture
Une vision ironique de la société
L'art consommé de l'ironie permet à Jane Austen de sonder l'âme d'une société prise dans des contradictions qui l'empêchent de revenir sur ses propres principes et d'évoluer. Bien que le champ de réflexion social soit ici très restreint, la maîtrise de la mécanique dramatique des personnages et de l'action permet à la romancière de montrer l'idéologie sous-jacente en acte. Autour d'Elizabeth et de Darcy ,c'est en effet tout un univers vibrionnant d'arrivistes et d'étourdies, de fâcheux et de jeunes premiers qui se déploie.
Jouant à merveille des variations de tonalités, sachant faire cohabiter une forme de comédie loufoque, incarnée par Mrs Bennet, la satire sociale, en particulier dans des scènes de groupe complexes, et l'introspection psychologique, dans des moments qui anticipent sur la pratique du monologue intérieur, Jane Austen brosse le portrait d'une société cruelle où la valeur des êtres est d'abord fonction de leur position sur l'échiquier social.
Au centre du dispositif dramatique, les deux protagonistes ont pour fonction d'apporter la contradiction et de résoudre ces tensions, par une union convenue, qui tout à la fois bouleverse les codes sociaux et conforte les conventions de la comédie sentimentale. Le pouvoir de fascination d'Orgueil et préjugés réside, sans nul doute, dans le paradoxe qui fait de ce couple idyllique l'agent d'une subversion maîtrisée. Au terme d'un voyage intérieur qui les contraint à remettre en question leurs préjugés, les deux personnages incarnent la promesse d'une réconciliation intérieure et sociale.
Si nombre de personnages secondaires du roman sont condamnés sans retour à rester des marionnettes impuissantes, Elizabeth et Darcy deviennent, du fait de leur nouvelle lucidité, les instruments d'un ordre apaisé et renouvelé. Fortement influencée par l'idéologie conservatrice d'Edmund Burke (1729-1797), homme politique et écrivain, Jane Austen aspire moins à ébranler les structures sociales qu'à les modifier de l'intérieur, sous l'effet conjugué de la raison et du sentiment. En cela, Orgueil et préjugés cristallise nombre de thèmes illustrés dans ses autres romans (Raison et sentiment, 1811 ; Mansfield Park, 1814 ; Emma, 1816). Se méfiant des passions romantiques dont elle fut pourtant contemporaine (à travers l'exemple de Byron, Shelley ou des romans gothiques d'Ann Radcliffe), Jane Austen semble adhérer, à l'inverse, à une idéologie régulatrice, fondée sur la maîtrise des affects et l'exercice sensible de la raison. Mais, parallèlement, le roman ne s'en fait pas moins porteur d'une vérité toujours moderne : celle de la force de questionnement du discours, qui nous enjoint de percer les jeux de reflets du monde et d'opposer le soupçon de l'ironie à l'autosatisfaction de l'ordre établi.
Ce roman a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1940, réalisée par Robert Z. Leonard, avec Laurence Olivier et Greer Garson dans les rôles de Darcy et Elizabeth Bennet.
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Écrit par
- Catherine BERNARD : professeure des Universités, université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification
Média
Autres références
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AUSTEN JANE (1775-1817)
- Écrit par Brian C. SOUTHAM
- 2 764 mots
- 3 médias
Orgueil et préjugés décrit le conflit entre Elizabeth Bennet, fille d'un gentleman provincial, et Fitzwilliam Darcy, riche propriétaire terrien aristocratique. Si Jane Austen les montre intrigués l'un par l'autre, elle renverse les « premières impressions » conventionnelles : l'« orgueil » que Darcy...