ORIENTALISME, art et littérature
Un nouvel espace littéraire
Le xixe siècle est l'âge d'or de l'orientalisme littéraire. L'affirmation paraîtra injuste pour les siècles précédents, surtout si l'on confond orientalisme et thématique orientale où l'on peut retrouver, pêle-mêle, l'Algérie de Cervantès, les histoires barbaresques et les nouvelles grenadines du Grand Siècle, le sérail du Bajazet de Racine et les turqueries de Molière, les Mille et Une Nuits traduites avec succès par Galland, les Persans de Montesquieu, les Bijoux indiscrets de Diderot, le Vathek de William Beckford, le Bosphore despotique et la Chine philosophique. Jusqu'à la fin du xviiie siècle, en effet, il y a des Orients, mais pas encore d'orientalisme.
Les deux Orients
Le mot fait son apparition en Europe occidentale dans les premières décennies du xixe siècle. En France, il est admis par l'Académie en 1840 : comme toujours, la reconnaissance entérine a posteriori un usage et, dans le cas présent, un fait intellectuel qui concerne aussi bien les lettres que les sciences de l'homme. Si la vogue de l'orientalisme doit son essor à la vulgarisation de recherches érudites, son développement s'explique aussi par la politique impérialiste de l'Angleterre et de la France. En marge de l'érudition et de la politique se crée et s'impose un espace immense pour un certain « exotisme ». Le mot est reconnu en 1845.
L'expédition de Bonaparte en Égypte (1798-1799), la conquête de l'Algérie par la France (1830), les Anglais à Aden (1839), le percement du canal de Suez (1869), l'Ostpolitik de l'Empire prussien, l'écroulement de l'Empire ottoman, les protectorats britannique et français au Levant et au Maghreb seront les principaux jalons de cet impérialisme occidental. Aux visées politiques fait écho un prodigieux intérêt : les spécialistes ne comptent pas moins de soixante mille livres publiés sur le Proche-Orient entre 1800 et 1950. Mais le regard savant est souvent partisan, polémique, volontiers condescendant, toujours pro-occidental, qu'il s'agisse d'Edward Lane et de ses travaux sur les Égyptiens modernes (1836), du philosophe Hegel, sévère avec l'islam dans ses cours sur la philosophie de l'histoire et de la religion, ou d'Ernest Renan. Dans sa célèbre conférence sur l'islamisme et la science (1883), celui-ci affirme que les Arabes se sont contentés de piller les Grecs et que leur culture n'est qu'un monde « dégradé ». Avant Renan, Edgar Quinet avait affirmé : « L'Asie a les prophètes, l'Europe a les docteurs. » Car il existe bien deux Orients : celui des origines de l'humanité et de la sagesse, celui de Zoroastre (le futur Zarathoustra de Nietzsche) de la philosophie de l'Inde – même mise en vers par Leconte de Lisle – et le Proche ou le Moyen-Orient, les pays du Levant qui coïncident avec l'islam, auxquels sont dévolus la couleur et la lumière de l'exotisme, et qui sont objets tout à la fois de fascination et de mépris.
Dans ce contexte, on peut donc considérer comme une exception un courant de pensée du romantisme allemand qui valorise et mythifie un certain Orient, depuis les travaux de Herder (Idées pour la philosophie de l'histoire de l'humanité, 1782-1784), très favorables aux peuples primitifs en général, jusqu'aux rêves orientaux d'un Novalis dans Henri d'Ofterdingen ou de Goethe dans son Divan oriental-occidental (1814-1819). Dès 1800, Friedrich Schlegel avait annoncé dans l'Athenäum : « C'est en Orient que nous devons chercher le romantisme suprême. »
Qu'il s'agisse de récits ou d'œuvres de fiction, l'Orient des Anglais va jusqu'à leurs colonies des Indes et du Bengale. Il couvre d'immenses espaces, depuis le Cachemire et le califat de Bagdad[...]
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Écrit par
- Daniel-Henri PAGEAUX : professeur de littérature générale et comparée à l'université de Paris-III
- Christine PELTRE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université des sciences humaines de Strasbourg
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