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ORIENTATION ANIMALE

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Orientation astronomique des abeilles

Les procédés utilisés par les abeilles pour s'orienter doivent être mentionnés à part en raison des mécanismes sensoriels remarquables qu'ils mettent en jeu. La découverte de ceux-ci est due à Karl von Frisch, qui a consacré à cette question des recherches désormais célèbres, dont les premiers jalons ont été franchis dès 1915, époque à laquelle Von Frisch étudiait la vision des couleurs et des formes chez Apis mellifera. Von Frisch dresse des abeilles à venir butiner sur des soucoupes contenant de l'eau sucrée, placées à des distances variables de la ruche et disposées selon divers azimuts.

Lorsque les butineuses reviennent à la ruche au terme de leurs explorations de provende, elles exécutent des mouvements caractéristiques auxquels on a donné le nom de « danses » en raison de leur stéréotypie motrice spécifique. Deux types de danses ont été observés : la danse en rond ou ronde (Rundtanz) et la danse en huit ou danse frétillante (Schwanzeltanz). La danse en rond est exécutée par les butineuses qui signalent aux réceptrices une provende située à une distance maximale de 100 mètres par rapport à la ruche. Elle fournit une simple indication de présence de provende, sans indication de direction. Cela doit être mis en rapport avec l'importance de la population de la ruche. Celle-ci étant élevée (plusieurs milliers d'individus), la dispersion des insectes à l'intérieur d'un rayon de cette grandeur assure une probabilité suffisante de succès même en l'absence d'une composante vectorielle. La danse en huit est exécutée par les butineuses qui reviennent d'un lieu de provende distant de la ruche de plus de 100 mètres. Elle transmet un message multidimensionnel complexe. La ronde est généralement exécutée à l'intérieur de la ruche, c'est-à-dire dans l'obscurité. La danse en huit peut être exécutée à l'intérieur de la ruche ou à l'entrée de celle-ci, dans ce dernier cas, au point d'envol. À l'extérieur, la danse en huit se déroule dans le plan horizontal. À l'intérieur, toutes les danses sont exécutées dans le plan vertical.

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Les informations fournies par les pourvoyeuses dans l'obscurité sont enregistrées tactilo-kinesthésiquement par les réceptrices, lesquelles s'agglutinent autour de l'indicatrice, se collent contre son abdomen et suivent tous ses mouvements en essayant de maintenir le contact pendant toute la durée de la danse. La pourvoyeuse frétille d'autant plus vivement que la provende signalée est abondante. Elle transpose par rapport à la verticale l'angle que fait le lieu de provende avec la direction du soleil dans le plan horizontal (cf. hyménoptères, fig. 6).

L'indice important est l'orientation du segment rectiligne central de la danse en huit. Si le segment rectiligne est orienté vers le haut, l'abeille signale que la direction du butin coïncide avec l'azimut solaire. Si le segment rectiligne est orienté vers le bas, il indique que la direction du butin est en opposition avec la direction du soleil, la ruche occupant une position intermédiaire sur le vecteur. Lorsque l'azimut solaire fait un angle quelconque avec la direction du butin, le segment rectiligne de la danse frétillante est orienté selon le même écart angulaire par rapport à la verticale ascendante. Ainsi, un angle de 600 vers la gauche par rapport à la verticale indique aux ouvrières que le butin se trouve à 600 à gauche du vecteur qui relie la ruche au soleil ; un angle de 1200 vers la droite indique un butin situé 1200 à droite du même vecteur, etc. Il est à noter que, lors de l'essaimage, les abeilles éclaireuses utilisent le même procédé pour signaler un emplacement favorable (M. Lindauer, 1951-1953).

L'indication de direction serait toutefois insuffisante à elle seule. Pour assurer aux partantes une provende efficace, l'indicatrice doit également fournir une information relative à la distance. Ce résultat est atteint par une variation de vitesse de la danse. Ayant observé que les mouvements de l'abeille sont d'autant plus lents que le butin est plus éloigné, Von Frisch nota la fréquence avec laquelle le segment rectiligne était parcouru en 15 secondes pour des butins dont l'éloignement par rapport à la ruche allait de 100 mètres à 10 kilomètres. Il constata ainsi qu'il existait une relation entre la vitesse de la danse en huit et la distance (cf. hyménoptères, fig. 6).

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Par temps clair, l'orientation astronomique des abeilles utilise le soleil comme compas. L'insecte partant maintient le cap indiqué par la pourvoyeuse et règle sa durée de vol en fonction de la vitesse de la danse. Par temps couvert, l'utilisation de l'azimut solaire ne fait pas problème : le spectre visible de l'abeille s'étend dans l'ultraviolet et l'astre reste visible à travers les nuages. Ce qui est plus surprenant, c'est le fait que les abeilles sont encore capables d'indiquer des caps exacts lorsque le soleil est dissimulé par un écran opaque, comme une montagne par exemple. Von Frisch réussit à prouver que les insectes s'orientaient dans ces conditions grâce à la perception du plan de polarisation de la lumière.

Ommatidie et ses huit rhabdomères - crédits : Encyclopædia Universalis France

Ommatidie et ses huit rhabdomères

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Autrum et Stumpf établirent par électro-rétinographie que le système des huit rhabdomères constituant le bâtonnet rétinien de chaque ommatidie de l'œil à facettes fonctionnait comme un analyseur de lumière polarisée. Von Frisch construisit un polaroïde en étoile reproduisant macroscopiquement l'agencement géométrique des rhabdomères. Selon l'orientation donnée à ce dispositif, on obtient pour différentes directions du ciel bleu des images contrastées différentielles. Chacune de ces images peut donc servir à caractériser un azimut particulier. Si des abeilles butinent selon un cap situé à l'ouest de la ruche, leur danse au retour indique cette direction si elles peuvent percevoir une région du ciel à l'ouest ; elles font de même si l'on place au-dessus de la ruche un polaroïde indiquant la même direction de propagation. Dans les deux cas, les réceptrices adopteront un cap exact. Si l'on fait tourner le polaroïde de 300, les danses indiquent un cap orienté à 350 de l'orientation initiale. L'œil à facettes permet donc aux abeilles (et à de nombreux autres Arthropodes) de s'orienter avec une grande précision, dans des conditions très variables de perception de la lumière, même lorsque l'azimut solaire ne peut être repéré directement.

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Louvain, membre de l'Académie royale des sciences et de l'Académie royale de langue et de littérature française de Belgique, membre correspondant du Muséum national d'histoire naturelle de Paris

Classification

Médias

Force électromotrice d'opposition chez les planaires - crédits : Encyclopædia Universalis France

Force électromotrice d'opposition chez les planaires

Ommatidie et ses huit rhabdomères - crédits : Encyclopædia Universalis France

Ommatidie et ses huit rhabdomères

Saumon - crédits : Planeta Actimedia S.A.© Encyclopædia Universalis France pour la version française.

Saumon

Autres références

  • DANSE DES ABEILLES

    • Écrit par et
    • 502 mots
    • 1 média

    Le zoologue autrichien Karl von Frisch, Prix Nobel de physiologie ou médecine en 1973, a réalisé des travaux décisifs concernant la communication sociale chez l'abeille. Ainsi, avant les années 1950, il a décodé la danse qu'exécute une abeille butineuse lors de son retour...

  • LANGAGE DES ABEILLES

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    • 212 mots
    • 1 média

    Depuis des siècles, des danses d'abeilles à l'intérieur de la ruche ont été observées. Mais leur signification reste inconnue jusqu'aux travaux décisifs de Karl von Frisch, publiés dès 1927 : Aus dem Leben der Bienen (La Vie des abeilles). Celui-ci découvre que les...

  • MIGRATIONS ANIMALES

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    Les repères olfactifs jouent un rôle important chez les poissons et peut-être chez les mammifères, mais l'orientation des oiseaux et sans doute d'autres animaux met en jeu une véritable navigation d'après des repères astronomiques.
  • PRIMATES

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    • 22 946 mots
    • 12 médias
    ...verus ; Loireau, 1985). Dans de nombreux cas, chez les Prosimiens nocturnes et diurnes, chez les Platyrhiniens, voire chez le cercopithèque de Brazza, l'imprégnation de l'environnement par des marques odorantes facilite l' orientation spatiale et l'individualisation du domaine vital.

Voir aussi