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ORIGINE DE LA VIE : L'HYPOTHÈSE OPARINE-HALDANE

Matérialisme de fait ou matérialisme dialectique ?

Il est parfois noté que les deux scientifiques furent l’un et l’autre marxistes et que cela aurait pu influencer la formulation de leurs théories. Il apparaît cependant que leurs propos de 1924 et 1929, s’ils sont clairement empreints d’un matérialisme méthodologique, ne sont guère marqués par le matérialisme dialectique. En effet, Haldane ne s’intéressera au marxisme qu’à la fin des années 1930 et Oparine n’introduira des références au marxisme qu’à partir de son ouvrage de 1936. Au-delà de leur rayonnement scientifique, les travaux d’Oparine doivent pour leur part être considérés dans le contexte de la politique lyssenkiste régnant alors en URSS. La carrière du scientifique soviétique porte la marque de sa proximité avec le pouvoir, puisqu’il devient directeur de l’Institut de biochimie de l’Académie des sciences d’URSS en 1946, après avoir participé à son organisation en 1935. Par ailleurs, en tant que secrétaire académicien du département des sciences biologiques de la même académie entre 1949 et 1956, il eut une grande influence et participa à la mise en application de la politique lyssenkiste. Il ponctue d’ailleurs ses propos scientifiques par des mentions politiques qui assurent sa hiérarchie de son adhésion au rejet de la science bourgeoise et il tente également de justifier philosophiquement, par le matérialisme dialectique, sa conception de l’évolution de la matière de l’inerte vers le vivant. C’est donc dans ce contexte qu’il concentre ses travaux sur les mécanismes du métabolisme primitif, renonçant ainsi de manière opportune à l’étude de l’origine des molécules associées aux mécanismes génétiques, à laquelle les scientifiques occidentaux intéressés par les origines de la vie se consacrent à l’époque activement, mais qui étaient révoqués comme antimarxistes par le pouvoir soviétique. En outre, ses travaux furent largement exploités par la propagande dans des textes destinés au grand public, notamment à travers les éditions en langue étrangère publiées par le pouvoir soviétique, comme une expression de la réussite de la science soviétique matérialiste face à un problème aussi fondamental que celui de l’origine de la vie. Événement lui aussi révélateur de l’intrusion de cette politique totalitaire dans la science, en 1952, Oparine lui-même apporte sa caution aux résultats de la biologiste soviétique Olga Lepechinskaïa, qui prétend abusivement être parvenue à observer au microscope des générations spontanées de cellules à partir de coacervats. L’année suivante, il les remettra en question en rappelant ce qu’il avait d’ailleurs toujours affirmé : tout processus de formation originelle de la vie est nécessairement inscrit dans un temps très long. Il n’en reste pas moins que cet épisode restera comme une marque de ses liens avec le pouvoir.

Malgré le trouble régnant autour de l’engagement politique d’Oparine, le scientifique soviétique restera pendant toute la guerre froide et jusqu’à sa mort, notamment au travers de ses différents ouvrages de synthèse traduits et largement diffusés, une figure éminente de la communauté scientifique internationale travaillant sur les origines de la vie, personnalité admirée par certains et contestée par d’autres, invitée de nombreux laboratoires et congrès européens et américains à partir de la fin des années 1950.

— Stéphane TIRARD

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Écrit par

  • : professeur d'épistémologie et d'histoire des sciences, Centre François Viète, Nantes université

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Médias

Alexandre Oparine - crédits : Sputnik/ AKG-images

Alexandre Oparine

John Burdon Sanderson Haldane - crédits : Mirrorpix/ Getty Images

John Burdon Sanderson Haldane