ORIGINE MICROBIENNE DES ULCÈRES GASTRIQUES
La participation de la bactérie Helicobacter pylori au développement d’ulcères gastriques pouvant évoluer vers un cancer est une donnée acquise. Il est admis qu’elle s’appuie sur la découverte, en 1983, d’un agent infectieux – non encore nommé à cette date – proliférant dans la muqueuse gastrique et décrit dans un article du Lancet – « Unidentified curved bacilli on gastric epithelium in active chronic gastritis » (J. Robin Warren & Barry J. Marshall). Les données épidémiologiques puis expérimentales montrent que la bactérie contribue à la genèse des ulcères et des cancers gastriques, ce qui vaudra à ses découvreurs australiens le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2005. L’idée d’une contribution bactérienne aux ulcères gastriques a conduit au traitement de ces derniers par l’association d’un médicament antisécrétoire, destiné à bloquer les sécrétions acides de l'estomac ou du duodénum, à une antibiothérapie. Cette stratégie a contribué à réduire dans des proportions considérables cette maladie très fréquente.
Une floraison d’études sur l’ulcère gastrique, depuis sa description nosographique précise au début du xixe siècle, a montré qu’il s’agit en réalité d’une redécouverte et que les travaux sur l’origine bactérienne des ulcères s’étendent sur un siècle. Les résultats obtenus par Marshall et Warren en 1983 ont en fait été précédés de résultats identiques obtenus entre 1875 et 1896 et tombés dans l’oubli. En 1875, le médecin allemand Georg Bottcher et son collègue français Maurice Letulle alors interne, devenu ensuite professeur de médecine à Paris, rapportent, dans le Dorpater medizinische Zeitschrift, la présence de microbes nouveaux dans les lésions qui bordent un ulcère gastrique. Ils proposent, selon la logique des règles 1 et 2 de Koch (le micro-organisme doit être présent dans les organes malades et non dans les organes sains, et doit être isolé par culture in vitro), que cette bactérie soit liée à la maladie. Six ans plus tard, on observe l’infiltration de l’épithélium gastrique par cette bactérie et les signes d’inflammation associés à sa présence. Letulle arrive à créer chez le cobaye des lésions ulcéreuses de l’estomac par une bactérie semblable à la sienne, mais isolée par le médecin écossais Alexander Ogston (règle 3 de Koch : le microorganisme cultivé doit induire la même maladie chez un animal sensible). Des observations semblables sont publiées ensuite périodiquement, mais l’hypothèse de l’origine bactérienne des ulcères gastriques s’efface dans les années 1930 devant l’importance croissante accordée à l’hyperacidité gastrique et au stress dans l’étiologie des ulcères. Elle reprend de l’intérêt au cours des années 1970.
La publication de 1983 est bien une redécouverte ; la nouveauté des travaux de l’équipe médicale de Perth réside plutôt dans la preuve apportée en 1986-1987 de la responsabilité directe de la bactérie chez l’homme (règle 4 de Koch : le microorganisme identifié dans les lésions est identique au micro-organisme isolé précédemment). Mais, ici encore, une sorte de doute subsiste : H. pylori est une bactérie commensale, qui ne cause généralement pas de dommages. On peut donc se demander à quel facteur elle doit être associée pour qu’elle devienne pathogène. La question est d’autant plus intéressante que, selon une étude de B. Marshall lui-même, les ulcères gastriques ont régulièrement augmenté en fréquence et en gravité depuis les années 1830-1840 en Europe, c’est-à-dire avec l’urbanisation, les changements dans l’environnement et les habitudes qui s’ensuivent. Force est de constater que l’expression de la pathogénicité de H. pylori reste incomprise.
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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Média