ORLANDO, Virginia Woolf Fiche de lecture
Orlando : une biographie (Orlando: A Biography)est l’ouvrage le plus fantaisiste de Virginia Woolf (1882-1941), la grande romancière moderniste anglaise, ce qui explique peut-être le succès qu’il rencontre dès sa publication en 1928 et qui ne se démentira pas.
Ce livre inclassable, tout à la fois fiction, biographie et autobiographie, est inspiré de la passion amoureuse que Virginia Woolf partagea avec l’aristocrate et écrivaine Vita Sackville-West à laquelle il est dédié. Orlando intègre et transfigure des éléments de la vie de Vita Sackville-West, de sa relation avec Virginia Woolf ainsi que les réflexions de chacune de ces écrivaines sur leur propre art. À ces éléments factuels se mêlent des ingrédients d’ordre mytho-poétique qui en font également un roman à clé, une fable ou un conte. En effet, outre le mythe de l’androgyne présent dès Platon, le texte renvoie aux figures du Roland furieux (1504-1532) de l’Arioste ou de Comme il vous plaira (comédie écrite en 1559) de William Shakespeare, les parodiant et les subvertissant de manière à créer son propre mythe.
Une « nouvelle biographie »
Si Orlando est conçu de manière ludique et spontanée mi-mars 1927, comme en réaction à la douloureuse élégie de La Promenade au phare parue en 1927, l’œuvre exprime les préoccupations fondamentales de Virginia Woolf et les enjeux cruciaux de la littérature dans les années 1920 : la place des femmes dans la société, dans la littérature et dans l’histoire, l’écriture de la vie et l’impossibilité d’exprimer le flot du ressenti par des mots. Virginia Woolf écrit une vie sans équivalent réel possible, celle d’un jeune noble du xvie siècle, féru de littérature et poète, qui traverse les quatre siècles suivants en ne vieillissant que d’une trentaine d’années au total. En six chapitres, Orlando rencontre les grands noms de chaque époque, de sorte que le texte est aussi une histoire revisitée de l’Angleterre et de sa littérature, ainsi qu’une réflexion sur le temps qui passe. Après des pérégrinations qui le conduisent jusqu’à Constantinople où il embrasse la carrière d’ambassadeur, Orlando change de sexe au terme d’un long sommeil de sept jours, puis part vivre un temps parmi des gitans. Il revient en Angleterre à la fin du xviie siècle et finit par trouver l’amour avec un aventurier, Marmaduke Shelmerdine, dont le genre est aussi fluide que le sien. Orlando donne naissance à un fils et voit le manuscrit de son poème finalement publié. L’intrigue d’Orlando s’achève le jour même de la parution du texte de Virginia Woolf, le 11 octobre 1928 : fiction et réalité se rejoignent dans un élan vital qui permet au personnage d’Orlando de rester éternellement jeune, et à l’ouvrage de s’inscrire dans une contemporanéité jamais démentie.
Dans cette œuvre, Virginia Woolf prend notamment le contrepied de la biographie victorienne qu’elle ambitionne de « révolutionner en une nuit ». Le texte d’Orlando, dont la veine principale est la satire, est conçu en même temps que la théorie de la « nouvelle biographie » que l’écrivaine élabore dans un essai (« An Essay in Criticism ») publié pour la première fois le 30 octobre 1927 dans le New York Herald Tribune. Elle exprime à travers ce texte le désir de libérer la biographie de sa gangue moralisatrice et hagiographique. À la suite de son ami historien Lytton Strachey, qui a publié le très iconoclaste Victorienséminentsen 1918, et stimulée par les portraits que Harold Nicolson, le mari de Vita Sackville-West, vient de publier (SomePeople, 1927), Virginia Woolf n’aura de cesse de perfectionner son écriture de la vie, de la rendre plus transparente, plus immédiatement expressive.
Dans Orlando, cette quête se traduit par des innovations formelles. Le style est parfois épuré à l’extrême, en particulier lorsque Virginia Woolf tente d’exprimer le[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Floriane REVIRON-PIÉGAY : professeure agrégée, docteure en littérature anglophone, maître de conférences, université Jean Monnet, Saint-Étienne
Classification
Autres références
-
WOOLF VIRGINIA (1882-1941)
- Écrit par Christine REYNIER
- 4 211 mots
- 4 médias
...tantôt difficiles tantôt lumineux, entre Mrs. Ramsay, son mari, ses enfants et les amis de la famille, en particulier l’artiste peintre Lily Briscoe. Avec Orlando (1928), le ton change, se fait plus enjoué ; de l’élégie, Woolf passe à une fresque historique pleine d’humour qui sert de toile de fond aux changements...