ORNEMANISTES
L'ornemaniste exécutant
Si certains inventeurs d'ornements ont la capacité d'en être, ou non, les exécutants – Meissonnier, orfèvre, Pineau ou Dugoulon sculpteurs du bois, Mondon ciseleur –, tel n'est pas le cas général. On définira donc une seconde catégorie d'ornemanistes chargés de diffuser et d'exécuter les modèles à tout faire, que d'autres ont créés. Ces artisans ne sont pas toujours de purs instrumentistes reproduisant mécaniquement une invention à laquelle ils n'ont point eu part. Ils peuvent au contraire interpréter librement le dessin original, modifiant ses proportions, choisissant son matériau comme son champ d'application. L'Architecture française de Mariette contient des « nouveaux desseins de plafonds inventés par Pineau et qui peuvent s'exécuter en sculpture et en peinture » : le choix proposé dépend peut-être du commanditaire, mais aussi de la spécialisation de l'artisan ornemaniste. Dans le même ouvrage, les planches consacrées à l'hôtel d'Évreux reproduisent en dessus de porte des peintures de Watteau qui n'y ont jamais été placées ; il s'agit de copies libres de gravures d'après ces compositions. Watteau est bien ici, involontairement, ornemaniste, puisqu'il a créé le modèle, mais comment qualifier le graveur qui l'a popularisé, le peintre qui a transposé l'estampe ? Et que dire de l'artiste chargé par les manufactures de porcelaine de reproduire sur des tasses les couples tirés de l'œuvre de Watteau sans avoir jamais été destinés à pareil usage ?
La distinction entre possible et fantaisie, entre modèle idéal et exécution est parfois indiquée : les dessins de serrurerie de Pineau, ceux de Chevrillon pour « meubles et ornemens » ont été pour certains exécutés et pour d'autres restés à l'état de projet. Le dessinateur ne doit pas perdre de vue l'application pratique de son invention, de même que l'exécutant a besoin des modèles qui lui sont proposés. Thomas Chippendale précise clairement les buts de son Cabinet Maker's Director : aider les uns dans le choix, les autres dans l'exécution des modèles (designs). L'ornemaniste prend en compte les besoins de l'artisan, comme ceux du client, souvent indécis, ou imprécis quant à ses souhaits. Des dessinateurs comme Berain ou Pineau, Slodtz ou Delafosse, Oppenord ou Dugourc s'adressent aux artisans comme à leurs clients en quête de meubles ou d'objets à la mode. Ainsi les modèles de cadres sont parfois dus au peintre du tableau, parfois à l'architecte responsable du décor. Si Michel-Ange Slodtz est chargé de sculpter la somptueuse bordure de la toile de Jean-Baptiste Oudry représentant une Chasse de Louis XV, c'est sur un dessin de Juste Aurèle Meissonnier. Qui faut-il, en ce cas, qualifier d'ornemaniste, Meissonnier l'inventeur ou Slodtz le brillant exécutant ? Vers la même époque, le comte de Tonnay Charente voulant un carrosse demande à Jacques de Lajoüe, peintre de l'Académie royale, d'en dessiner le décor qui sera exécuté par quelque peintre et sculpteur du bois de l'Académie de Saint-Luc. Là encore, qui est l'ornemaniste ? Le passage de l'idée à sa mise en pratique peut être formalisé. Lorsque Huquier, dessinateur, mais surtout graveur et éditeur de la plupart des ornemanistes de son temps, publie un Nouveau Livre propre à ceux qui veulent apprendre l'ornement et à différens usages comme pour les feuilles de Paravent, Paneaux, etc., le Mercure précise que ces « feuilles d'ornemens peuvent servir à différens usages et même à apprendre à dessiner l'ornement ». Le sens vague donné ici à ce terme, détaché de son contexte de découpures ou de paravent, peut nous aider à définir l'ornemaniste comme l'inventeur d'une forme esthétique gratuite,[...]
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Écrit par
- Marianne ROLAND MICHEL : docteure en histoire de l'art, directrice de la galerie Cailleux, Paris
Classification
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