ORPHISME, mouvement artistique
Le terme d'orphisme a été proposé par Guillaume Apollinaire, lors de la publication de ses Méditations esthétiques en 1912, pour caractériser certains aspects de la peinture d'avant-garde. À cette date, cinq ans après Les Demoiselles d'Avignon, le cubisme apparaît à Apollinaire comme « écartelé » en quatre tendances divergentes. Le cubisme scientifique emprunte ses éléments constructifs à des données de connaissance, ce qui lui donne son aspect géométrique. Le cubisme physique reste fidèle à la réalité visuelle, mais en se soumettant à une discipline constructive. Le cubisme instinctif fonde le choix de ses matériaux plastiques sur l'intuition. Quant à l'orphisme, il a trois caractéristiques : il utilise des éléments figuratifs qui sont « entièrement créés par l'artiste » ; ses œuvres n'en sont pas moins construites et n'en ont pas moins une signification qui est leur vrai « sujet » ; enfin, c'est un art de la lumière créée par la couleur. Apollinaire cite cinq peintres orphiques : Picasso, Delaunay, Léger, Picabia, Duchamp.
La référence au mythe d'Orphée signale que cette nouvelle forme de peinture prête à des analogies avec la musique. C'est là un des aspects majeurs de l'idéologie d'avant- garde au début du xxe siècle. On est alors conscient que la musique est l'art moderne par excellence ; déjà Mallarmé demandait que les autres arts prennent modèle sur elle. Cette avance de la musique sur les autres arts tient à deux caractères. Elle est un art absolument pur parce qu'elle n'a aucune fonction représentative. En d'autres termes, c'est un art parfaitement abstrait. À cet égard, il n'est pas indifférent que le terme d'orphisme ait été suggéré à Apollinaire par une jeune musicienne, Gabrielle Buffet, l'épouse de Picabia : ancienne élève de Busoni à Berlin, elle s'était donc formée dans le milieu musical le plus ouvert aux recherches formelles. D'autre part, la musique remplit, dans le champ général de l'art, une fonction totalisatrice : l'opéra wagnérien a montré que la musique peut se soumettre les autres arts et qu'elle peut promouvoir un « art total », dont le mythe reste toujours vivace dans l'art le plus actuel.
L'idée d'un art orphique fonctionne donc dans le champ idéologique de l'art d'avant-garde comme une première tentative pour penser l'art abstrait en tant qu'art d'une valeur universelle. À ce titre, c'est une idée-force de première importance. L'ensemble des textes publiés par Apollinaire en 1912 permet de préciser ce concept. Apollinaire vient alors de vivre dans l'intimité de Robert Delaunay. Lorsqu'il développe la définition de l'orphisme comme art de la lumière, ses allusions aux contrastes colorés prouvent que c'est Delaunay qui lui fournit le modèle de la peinture orphique, sinon son analyse conceptuelle : dans cette peinture, la forme naît de la couleur, elle se manifeste comme « couleur formelle ».
Paul Klee confirme et précise le rôle historique de la peinture de Delaunay quant à la théorie de la couleur. Delaunay, dit-il, crée « le type du tableau autonome, vivant sans motif de nature d'une existence plastique entièrement abstraite ». Effectivement, le problème de la couleur est alors central pour l'art contemporain. La peinture classique avait constamment mis la couleur sous la dépendance de la forme linéaire, parce que cette dernière, référable aux objets de la réalité empirique, se plie à la rationalité du discours. Produire, porter à l'évidence les formants de la couleur et leurs virtualités combinatoires comme le font les travaux orphiques de Delaunay, c'est au contraire ouvrir la voie à une théorie de l'art comme mode de production matériel d'effets de sens spécifiques. En quoi l'orphisme[...]
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Écrit par
- Marc LE BOT : professeur à l'université de Paris-I
Classification
Média
Autres références
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DELAUNAY ROBERT (1885-1941) & SONIA (1885-1979)
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...cubiste en 1911. L'année suivante, il refuse de figurer à la « Section d'or », conscient de mener sa propre aventure au sein de la révolution cubiste. « Orphisme », écrit Apollinaire, dans la revue Les Soirées de Paris, pour désigner cet « art pur » en qui il reconnaît un lyrisme neuf qu'il exalte... -
PICABIA FRANCIS (1879-1953)
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