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ORRORIN TUGENENSIS

Un hominidé bipède encore lié au milieu arboricole

Parmi les restes postcrâniens, les os du membre antérieur montrent des caractères d'arboricolisme, en particulier liés au grimper, comme chez les Australopithèques. Les fémurs permettent toutefois de distinguer cet hominidé des Australopithèques car il présente une meilleure adaptation anatomique à la bipédie que Lucy (bien que celle-ci soit beaucoup moins ancienne). Les restes d’un seul humérus ont été découverts à Kapsomin et les caractéristiques osseuses suggèrent des insertions musculaires permettant à Orrorintugenensis de grimper, comme Lucy.

Phalange de pouce d’<em>Orrorin tugenensis</em> - crédits : Dominique Gommery

Phalange de pouce d’Orrorin tugenensis

La découverte exceptionnelle d’une phalange terminale de pouce (rare dans le registre fossile) suggère une préhension très proche de celle de l’homme et non de celle pratiquée par les grands singes actuels comme le chimpanzé. La morphologie apicale de cette phalange est très particulière chez l’homme et elle est classiquement associée avec une précision fine entre le pouce et les autres doigts, rendant possible la manipulation d’outils. Cette morphologie terminale spécifique est donc déjà présente chez Orrorintugenensis. Cette phalange de pouce présente également d’autres caractères morphologiques suggérant des insertions ligamentaires très puissantes. Le chimpanzé utilisesa main comme un crochet (le pouce étant replié sur le bord de sa main) quand il grimpe. Orrorin, lui, devait plutôt s’en servir comme d’une pince puissante (comme l’homme qui veut saisir un objet cylindrique) pour se hisser dans les arbres. Il devait manipuler différents objets naturels et aliments mais probablement pas des outils au sens où le conçoivent les préhistoriens et les archéologues (manufacturés et produits en grand nombre). Il présente toutefois les prérequis anatomiques qui vont permettre, plus tard, ce type de manipulation.

L’étude des restes postcrâniens d’Orrorintugenensis démontre qu’il est un bipède permanent, c’est-à-dire qu’il pratique ce mode de locomotion de façon préférentielle et non de façon occasionnelle comme le chimpanzé (bipédie pratiquée lors de transport d’objets par exemple), même si cette bipédie est encore associée au grimper (comme en témoigne la phalange terminale du pouce et l’humérus). Orrorintugenensis présente des caractéristiques morphologiques suggérant une meilleure adaptation à la bipédie que Lucy. L’homme moderne pratique, quant à lui, la bipédie permanente stricte (la bipédie étant son unique mode de locomotion).

La faune et la flore associées aux fossiles d’Orrorintugenensis montrent que l’environnement correspondrait à l’actuel miombo (savane boisée du centre et du sud de l’Afrique). Cet hominidé pouvait grimper dans les arbres pour trouver des fruits mais aussi pour échapper aux prédateurs.

La découverte d’Orrorintugenensis confirme l'origine ancienne des hominidés et donc une séparation (divergence) entre ceux-ci et les grands singes il y a probablement plus de 8 Ma, voire 10 Ma, époque retenue par Yves Coppens dans la théorie de l'East Side Story. Émise dès 1980, cette dernière – remise en question par certains scientifiques depuis la découverte de Sahelanthropustchadensis – explique où, quand et comment s’est opérée la divergence entre les hominidés et les grands singes.

— Dominique GOMMERY

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<em>Orrorin tugenensis</em> - crédits : Brigitte Senut

Orrorin tugenensis

Phalange de pouce d’<em>Orrorin tugenensis</em> - crédits : Dominique Gommery

Phalange de pouce d’Orrorin tugenensis

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