NITZCHKÉ OSCAR (1900-1991)
Le déplacement des thèmes et des formes de l'architecture moderne européenne vers les États-Unis a trop souvent été perçu comme résultant uniquement de l'exposition The International Style, organisée en 1932 au musée d'Art moderne de New York par Henry-Russell Hitchcock et Philip Johnson. Les passeurs comme Oscar Nitzchké permettent cependant de découvrir les itinéraires plus secrets par lesquels une transmission durable des expériences du modernisme allemand ou français s'est accomplie.
Né en 1900 à Altona (en Allemagne), Oscar Nitzchké découvre l'architecture à Genève, puis à l'atelier Laloux-Lemaresquier, pilier de l'enseignement académique à l'École des beaux-arts de Paris, qu'il quitte en 1923 avec un groupe de jeunes rebelles, pour ouvrir sous la férule d'Auguste Perret l'atelier du Palais de bois. En compagnie de Paul Nelson, Pierre Forestier, Ernö Goldfinger ou Berthold Lubetkin, Nitzchké explore les potentialités de la logique constructive rationaliste de Perret. En 1929, sa maîtrise des techniques contemporaines lui vaut de remporter le concours de maisons métalliques organisé par les Forges de Strasbourg, ville où il contribue à la réalisation du dancing de l'Aubette avec Van Doesburg et les Arp. Il construira plus de cinq cents exemplaires de son élégante boîte de tôle d'acier.
Par l'intermédiaire de l'éditeur Christian Zervos, Nitzchké rencontre le publicitaire Martial, propriétaire d'un terrain aux Champs-Élysées, sur lequel l'architecte conçoit en 1934-1936 la maison de la Publicité, projet fondateur d'une approche radicalement nouvelle des rapports de la communication visuelle et de l'architecture. Quarante ans avant le Centre Georges-Pompidou et les propositions des architectes high-tech des années 1980, Nitzchké fait du bâtiment en béton qu'il imagine le support d'un mur d'images mouvantes tourné vers l'avenue. Panneau d'affichage le jour et journal lumineux la nuit, cette peau englobe des salles d'expositions et d'auditions aux contours fluides. Sollicité par le peintre Amédée Ozenfant, qui lui commande un projet pour son école londonienne en 1937, Nitzchké travaille avec Paul Nelson et Frantz-Philippe Jourdain à un palais de la Découverte, dont les formes organiques et les toits suspendus à des câbles inaugurent un répertoire très éloigné de l'orthogonalité du « portique souverain » cher à Perret.
Nitzchké, qui avait visité New York en 1936, est invité deux ans plus tard par Wallace K. Harrison, architecte du Rockefeller Center, à travailler avec lui et à enseigner à l'université Yale à New Haven. Il imagine alors des édifices sensuels pour le zoo du Bronx (1940) ou des gratte-ciel plus austères pour le siège des Nations unies (1947), où son rôle est essentiel dans l'équipe élaborant le projet final. Entre 1949 et 1953, Nitzchké réalise pour Harrison et Max Abramovitz ce qui reste son œuvre majeure, lorsqu'il dessine tous les éléments constructifs, le hall et la façade du siège de l'Alcoa, à Pittsburgh. Salué par Marcel Lods comme le premier « classique » de l'architecture métallique, ce gratte-ciel de trente étages crée, avec les ressources de l'aluminium embouti, un jeu d'ombres et de lumières jusque-là banni des murs-rideaux américains.
Revenu à Paris dans les années 1960, son œuvre est lentement redécouverte en France et aux États-Unis, notamment à la faveur de l'exposition rétrospective de la Cooper Union à New York en 1985. Avec ses dessins exemplaires par la concision et la souplesse de leur trait, Nitzchké communique aujourd'hui la vision d'une modernité aérienne portée par l'enseignement de Perret, vision dont la religion française du béton armé a souvent brisé l'envol.
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Écrit par
- Jean-Louis COHEN : architecte, historien, professeur à l'Institut français d'urbanisme, université de Paris-VIII, et à l'Institute of Fine Arts, New York University
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