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WILDE OSCAR (1854-1900)

Portrait de l’artiste en prosateur : des contes à l’essai et au roman

À la toute fin des années 1880, Wilde s’illustre d’abord dans le genre du conte, en faisant paraître LePrince heureux et autres contes (1888), un recueil de cinq récits pour enfants (« Le prince heureux », « Le rossignol et la rose », « Le géant égoïste », « L’ami dévoué » et « La fusée remarquable »). En 1891, l’écrivain publie un second recueil, Unemaison de grenades, composé de quatre contes (« Le jeune roi », « L’anniversaire de l’Infante », « Le pêcheur et son âme » et « L’enfant de l’étoile »).

À plus d’un titre, l’année 1891 est significative dans la vie et la carrière de Wilde. Il fait la rencontre de lord Alfred Douglas, alors étudiant à Oxford, surnommé Bosie par sa famille, et fils de John Sholto Douglas, neuvième marquis de Queensberry. Très vite, les deux hommes entament une liaison orageuse qui aura des conséquences tragiques pour Wilde. C’est également en 1891 que ce dernier publie Intentions, un recueil de quatre essais (« La plume, le crayon, le poison », « Le critique comme artiste », « Le déclin du mensonge » et « La vérité des masques ») dans lesquels il définit un programme esthétique qui se rattache au dandysme, tel que conçu par Barbey d’Aurevilly et Baudelaire, et s’articule notamment autour de l’idée de la supériorité de l’art sur la vie et de l’esthétique par rapport à l’éthique.

Ces mêmes idées sont à l’œuvre dans LePortrait de Dorian Gray, son unique roman, dont la publication en volume suivra de quelques jours celle d’Intentions. La genèse du texte remonte à 1889 : Joseph Marshall Stoddart (1845-1921) lance à Wilde le défi d’écrire un texte de fiction que l’homme d’affaires et éditeur américain se propose d’inclure dans le magazine qu’il dirige. LePortrait de Dorian Gray paraît ainsi d’abord en juillet 1890 dans le Lippincott’sMonthly Magazine, publié à la fois à Londres et à Philadelphie. Cette première version donne lieu à des critiques particulièrement virulentes dans la presse britannique : les reproches tournent essentiellement autour du manque d’originalité et de la prétendue immoralité de l’œuvre. Ces critiques seront reprises lors des procès de Wilde en 1895, lorsque LePortrait de Dorian Gray servira de pièce à charge. L’auteur répond point par point à ses détracteurs. Ces controverses conduiront à l’ajout, à l’occasion de la publication du roman en volume, d’une préface-manifeste composée d’aphorismes, dans laquelle l’écrivain définit l’art comme une quête de beauté détachée de la morale et du réalisme.

LePortrait de Dorian Gray consiste en une variation autour des thèmes du double et du portrait. Cette question avait déjà été abordée par Wilde dans LePortrait de Mr. W. H. (1889), texte aux confins de l’essai et de la fiction, qui porte sur le mystérieux dédicataire des Sonnets de William Shakespeare. Dans LePortrait de Dorian Gray, l’art et la vie échangent leurs propriétés respectives jusqu’au moment où, en voulant détruire son double pictural – lequel, en raison du vœu du personnage principal, s’est chargé au fil des années des stigmates du temps et des signes de la corruption –, Dorian Gray rompt le pacte magique : le récit se conclut sur l’image d’un cadavre hideux gisant sur le sol tandis que le portrait accroché au mur est rendu à sa splendeur initiale. Le texte se situe dans le sillage des œuvres du mouvement décadent français, et notamment du roman de Joris-Karl Huysmans Àrebours (1884), mais aussi de la tradition « gothique » et fantastique britannique et irlandaise. Roman-palimpseste, il propose également une réflexion sur les rapports entre image et texte, portrait peint et portrait écrit. Troublant l’opposition établie par G. E. Lessing (1729-1781) entre[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Reims Champagne-Ardenne

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Média

Oscar Wilde, 1882 - crédits : Napoleon Sarony/ Everett Historical/ Shutterstock

Oscar Wilde, 1882

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