OSHIMA NAGISA (1932-2013)
Histoires de familles
Oshima n'est pas un militant et chacun de ses films s'incarne dans une fiction, tournant autour d'un groupe restreint d'individus : le bidonville de L'Enterrement du soleil, le bunker des malfrats dans Été japonais : double suicide, la prison de La Pendaison. Dans La Cérémonie, théâtralité et séquentialité reviennent comme dans Nuit et brouillard au Japon. Mais, cette fois-ci, elles s'inscrivent dans le devenir d'une grande famille. Terumichi et sa cousine Ritsuko se rendent dans une île où un de leurs proches menace de se suicider. Le trajet est ponctué de flash-back évoquant diverses séquences qui vont de l'après-guerre au début des années 1970 : les membres de la famille, tyrannisés par un patriarche, se retrouvent, à intervalles plus ou moins réguliers, à l'occasion de mariages, de décès ou du retour de captivité de certains de leurs membres. Chaque protagoniste appartient à un courant de pensée différent. La vie politique du pays et les déviations sexuelles de la famille sont passées au crible à travers de longs plans oscillant entre réalisme et onirisme.
Après le médiocre Une petite sœur pour l'été (1972), Oshima Nagisa reste quatre ans à l'écart des studios de cinéma, tout en travaillant régulièrement pour la télévision. Il pense en avoir fini avec les problèmes du Japon qui, par ailleurs, connaît une grave crise de son industrie cinématographique.
Il réalise L'Empire des sens, avec des capitaux français. Le film est une réussite. Le cinéaste y dépeint un huis clos entièrement dévolu à l'amour charnel, sans alibi sociologique, moral ou autre. Si le réalisateur est encore sous l'effet de l'énergie qui marquait ses œuvres précédentes, l'engagement politique n'apparaît plus qu'en filigrane. Un seul plan – celui où l'on voit des soldats défiler devant le héros indifférent – rappelle le contexte difficile de cette année 1936, où se déroule l'histoire vraie de la servante Abe Sada – qui, par amour fou, étrangla et émascula son amant Ishida Kichizo.
La fin de la carrière d'Oshima est bancale. Dans un autre huis clos, Furyo (1983) dépeint la vie, en 1942, dans un camp de prisonniers majoritairement britanniques, situé à Java. Le capitaine Yonoi, qui commande le camp, est prisonnier de son code moral. Il refoule son homosexualité et se trouve détruit psychologiquement lorsque le major Celliers lui donne, par esprit de vengeance, un baiser devant toute la garnison.
Oshima réalise deux films historiques, L'Empire de la passion (1978), situé en 1895, et Tabou (1999), rare film en costumes de l'auteur, situé en 1865. Le premier, malgré son titre français, a peu à voir avec L'Empire des sens, puisqu'il dépeint la vie d'un couple adultère rongé par la culpabilité et qui, après le meurtre du mari, est hanté par son fantôme, selon les règles du cinéma de genre japonais. Quant au hiératisme de Tabou, évocation du monde des samouraïs, il tourne un peu à vide.
Oshima a réalisé également Max mon amour (1986), scénarisé avec l'aide de Jean-Claude Carrière. On peut y voir « un Buñuel tardif », où le désir de transgression des codes sociaux qui anime l'œuvre du cinéaste passerait par une méditation sur l'animalité.
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Médias
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