KOKOSCHKA OSKAR (1886-1980)
Le réel et son double
Grièvement blessé pendant la guerre de 1914-1918, le peintre se débat entre la vie et la mort. Mais le traumatisme que lui cause cette époque de carnage est avant tout psychique et moral. C'est pour oublier la « réalité écœurante » et parce qu'il se sent « personnellement responsable des délits d'une société dont [il] fait partie », que Kokoschka se décide, en 1919, à se retirer dans les montagnes. « Ne pouvant supporter autour de lui la présence d'aucune personne vivante », le peintre emporte avec lui une poupée de la taille d'une femme, exécutée sur commande, et à laquelle il consacre des dizaines d'études et quelques toiles, dont La Femme en bleu. Par là, l'artiste ne cherche plus seulement à transfigurer le réel mais à lui opposer un double.
Le désir d'échapper aux tourments d'un monde chaotique était déjà présent, chez Kokoschka, dans une grande composition créée avant la guerre. C'est dans l'amour accompli qu'il voyait alors la possibilité de transgresser le mal. Un couple – le peintre et la femme aimée –flotte dans un paysage panoramique, balayé par la tempête (Tempête est le titre de cette toile qui date de 1914, connue aussi sous le nom de La Fiancée du vent, musée d’art de Bâle). Une forme compacte, ovoïde, essaye de résister aux assauts des taches et de lignes colorées, brisées, courbes qui la menacent de toutes parts.
L'idée d'une nécessaire opposition politique face à une société en dérive n'est pas étrangère aux préoccupations de l'artiste. Elle se forme – en grande partie – grâce aux contacts qu'il établit à Berlin, à partir de 1910, avec Herwart Walden et le groupe Der Sturm ; elle se précise après 1919, quand, professeur à l'Académie de Dresde, il milite en faveur des idées révolutionnaires et peint des affiches politiques. Jusqu'en 1924, le combat idéologique lui inspirera de nombreuses œuvres, tels les grands tableaux allégoriques Anschluss, Lorelei ou Thermopyles (université de Hambourg). Puis le peintre voyage dans plusieurs continents pendant sept ans, s'intéressant essentiellement au paysage.
Gais au sud, tristes au nord, dramatiques sous le soleil méditerranéen, éclatants de vitalité sous le ciel sombre des contrées septentrionales, ces paysages n'ont pas de spécificité locale. Les contours s'estompent. La couleur s'éclaircit. La touche éclatée, de dimensions inégales et d'orientation variable, fait vibrer la surface de la toile, qui se transforme ainsi en plan subjectif. L'objectivité impressionniste devant l'instant-lumière, fait place ici à une traduction des émotions par équivalences expressives, imposée par la seule « nécessité intérieure ». En 1932, Kokoschka retourne à Vienne. Il n'y restera que peu de temps ; la montée du nazisme le fait partir pour Prague. Son œuvre est considérée par le régime fasciste comme malsaine, et huit de ses tableaux vont figurer à l'exposition L'Art dégénéréorganisée en 1937 à Munich par les Nazis. La réplique pleine d'humour et de sarcasme ne tarde guère : cette même année, Kokoschka peint son autoportrait qu'il intitule Autoportrait d'un artiste dégénéré. En 1938, Prague n'est plus un lieu de refuge. L'artiste gagne Londres où il séjournera jusqu'en 1953, date à laquelle il s'établit à Villeneuve, en Suisse. Il ouvre à Salzbourg son « école du regard ». Il meurt à Villeneuve en 1980, quelques jours seulement avant l'anniversaire de ses quatre-vingt-quatorze ans.
Les grands musées du monde ont souvent rendu hommage à Kokoschka en organisant plusieurs expositions rétrospectives de son œuvre, comme en 1947 à la Kunsthalle de Berne, à la 26e biennale de Venise (1952). Il apparaît peu à peu que la modernité de[...]
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Écrit par
- Marina VANCI-PERAHIM : docteur en histoire de l'art, maître de conférences à l'université de Paris-I
Classification
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