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MANDELSTAM OSSIP EMILIEVITCH (1891-1938)

Cofondateur de l'école « acméiste », Ossip Mandelstam est l'un des principaux représentants de « l'âge d'argent » que la poésie russe connaît à la veille de la révolution. Ensuite, dans un climat de plus en plus hostile et menaçant, il poursuit une œuvre solitaire et hardiment novatrice, qui ne sera pleinement connue et reconnue que vingt ans après sa mort dans le goulag. En définissant l'acméisme comme « la nostalgie de la culture universelle », il nous a donné la clef de sa propre poésie, qui actualise par la musique du mot l'univers intemporel de la culture où celui-ci plonge ses racines.

Les débuts et l'acméisme

Né à Varsovie, fils d'un commerçant juif de langue maternelle allemande, Ossip Émiliévitch Mandelstam a passé son enfance et sa jeunesse à Saint-Pétersbourg dont le faste impérial et l'architecture monumentale ont frappé son imagination. Après de bonnes études secondaires, il visite Paris et se consacre à l'étude de l'ancien français et de la littérature médiévale à l'université de Heidelberg. En 1911, il entre à la section des langues romanes et germaniques de la faculté d'histoire et de philologie de l'université de Saint-Pétersbourg.

Écrits en 1908, ses premiers vers sont publiés en 1910 dans la revue d'art Apollon, autour de laquelle se cristallise la réaction contre le symbolisme. Il y fait la connaissance de N. Goumiliov et de A. Akhmatova, avec lesquels il fonde en 1911 l'« Atelier des poètes », berceau de la doctrine « acméiste » dont il développe les thèmes dans un article-manifeste, Le Matin de l'acméisme (Utro akmeizma, 1912) : acceptation réaliste des limites de notre existence et de notre savoir, assimilation de la création poétique à un artisanat patient et rigoureux, enfin doctrine de l'art comme création opposée à la doctrine classique de l'art comme représentation, ce qui implique l'autonomie du mot, considéré moins comme le signe d'une réalité extérieure que comme un élément constitutif de la forme. C'est ce dernier point qui va rapprocher Mandelstam des futuristes, auxquels il reproche cependant de n'avoir pas intégré « le sens conscient, le Logos » à leur conception du mot comme matériau de la création poétique.

Le titre du premier recueil de Mandelstam, La Pierre (Kamen', 1913), dénote les aspects « parnassiens » de la doctrine acméiste. Évoquant dans un langage sobre et dépouillé, d'une grande qualité musicale, des états d'âme subtils, ces premiers poèmes ont pour thème général le sentiment d'un étonnement craintif devant la fragilité du monde réel, celui-ci apparaissant sous un jour peu concret, comme un univers artificiel prêt à retourner au néant. Les qualités de forme qui distinguent ces premiers vers se retrouvent dans ceux des années 1912-1916, inclus en 1916 dans la deuxième édition du recueil. Mais, ici, l'image du monde extérieur se concrétise, et le ton de la confidence lyrique fait place à celui de la description ironique ou émerveillée d'un fait de culture, église (Sainte-Sophie, Notre-Dame, l'Assomption), ville (Saint-Pétersbourg), œuvre (celle de Poe ou de Dickens), type littéraire (l'abbé dans le roman français) ou social (la jeune Américaine), phénomène caractéristique de la civilisation moderne (le tennis, le cinéma). Ces poèmes, grâce au jeu subtil d'images et d'épithètes inattendues, tendent moins à décrire leur objet qu'à suggérer les connotations d'un style, d'une époque, d'un moment de l'histoire de la culture. La nature, d'une part, l'actualité, d'autre part, ne pénètrent dans l'œuvre de Mandelstam qu'assimilées à l'univers intemporel de la culture.

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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