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MANDELSTAM OSSIP EMILIEVITCH (1891-1938)

Après la révolution

D'abord hostile au coup d'État d'octobre 1917, Mandelstam est cependant sensible à la dimension historique de la révolution et se résigne à « l'immense, maladroit et grinçant coup de barre ». Chassé de Moscou par la guerre civile, il passe les années 1919 et 1920 à Kiev, en Crimée et en Géorgie. Cet exil lui inspire le titre, les thèmes et la tonalité générale du recueil Tristia (1922), qui illustre sa formule selon laquelle « la poésie classique est la poésie de la révolution », dans la mesure où elle permet d'intégrer celle-ci à l'univers de la culture : les réminiscences de l'Antiquité, l'archaïsme du vocabulaire, la solennité du style contribuent à donner à ces poèmes le ton et le souffle lyrique de l'ode ou de l'élégie classiques. Cependant, à mesure que croît la charge lyrique du poème, celui-ci échappe à sa dépendance à l'égard de l'objet extérieur et devient une construction autonome d'images, de rythmes et de sons à partir de mots ou d'associations de mots parfois obscurs, souvent répétés avec insistance, comme une incantation. Le mot, « hirondelle aveugle » ou « Psyché » à la recherche de son corps, apparaît ici comme le pressentiment d'un sens que le poème s'efforce de constituer. Ces tendances novatrices s'accentuent dans les poèmes des années 1921-1925, publiés en 1928 dans la dernière édition soviétique de ses œuvres et dont certains, par la liberté de leur structure sémantique et formelle, s'apparentent à la poésie de Khlebnikov.

En 1925, Mandelstam publie un volume d'essais autobiographiques, Le Bruit du temps (Šum vremeni), où il tente de saisir l'histoire à travers l'atmosphère de ses souvenirs d'enfant. En 1928, il les réunit à une œuvre de fiction, Le Timbre égyptien (Egipetskaja marka) qui, par sa structure associative, prend le contre-pied de la prose narrative classique, et où les motifs autobiographiques, greffés sur des bribes de fiction, débouchent à la fois sur le thème moderne de l'individu devant l'histoire et sur le thème traditionnel du « petit homme » de Saint-Pétersbourg. En 1928, paraît également, sous le titre De la poésie (O poezii), un recueil d'études critiques où l'on trouve, exprimée de façon dense et imagée, la conception du langage, dans ses rapports avec l'histoire et la culture, qui sous-tend son écriture poétique.

Si certains relèvent la qualité des vers de Mandelstam et l'originalité de sa prose, la critique « prolétarienne » lui reproche l'anachronisme de son langage et de ses idées littéraires. Lui-même supporte mal la complaisance de l'intelligentsia vis-à-vis du pouvoir et vit difficilement de traductions. Les vers des années 1928-1932, dont quelques-uns seulement sont publiés en revue, font entendre des accents de désespoir ou d'amère résignation.

Arrêté en mai 1934 pour un poème satirique sur Staline, Mandelstam est condamné à trois ans d'exil à Tcherdyn, dans l'Oural. Une tentative de suicide lui vaut l'autorisation de séjourner à Voronej. Il y écrit, entre avril 1935 et mai 1937, plus d'une centaine de poèmes qui, conservés par sa femme Nadejda Mandelstam, ne seront connus et publiés qu'après 1962. Inspirée par les paysages ruraux de la Russie centrale, l'image de la terre y fait pénétrer le thème de la nature, mais comme symbole de nudité et de dépouillement. Écrits sans espoir de publication, ces poèmes donnent parfois une impression de fragmentaire et d'inachevé, mais ils y gagnent en spontanéité et atteignent, par l'énergie parfois brutale de l'expression et par l'audace de la création verbale, à un extraordinaire pouvoir expressif dans l'aveu poignant de la détresse matérielle et morale du proscrit et du paria.[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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