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ZADKINE OSSIP (1890-1967)

Sculpture et poésie

Si elle ne reste pas indifférente à ce qui se trame alentour, l'œuvre de Zadkine n'en conserve pas moins, de bout en bout, un ton très personnel. Ainsi, les sculptures de la période de cubisme orthodoxe n'ont pas leurs pareilles pour pousser à leurs ultimes conséquences les procédés de la juxtaposition des points de vue frontaux, de l'inversion des reliefs et des creux, de la dislocation des plans (Formes et lumières, 1918, bronze doré, musée national d'Art moderne, Paris). De même, Zadkine ne fait que suivre une tendance assez générale en revenant, vers les années trente, à une conception plus spatiale de la forme, en projetant ses éléments dans les directions les plus opposées et en pratiquant des ouvertures dans la masse. Mais cette émancipation, commune à toute une génération d'artistes dont l'ascétisme de la méthode cubiste avait bridé la fougue native, prend chez lui des accents tout à fait singuliers. À cela, une raison précise : Zadkine est à peu près le seul de ses contemporains à ambitionner, dès le départ, une dimension poétique pour son œuvre. Une sculpture, selon lui, ne saurait se contenter d'être un bel objet, ni tirer son unique nécessité de la rigueur de ses proportions ; elle doit porter témoignage, être capable de dire avec la même force la folie destructrice dont l'homme est périodiquement habité et les glorieuses étapes de son génie créateur ; bref, elle doit rassembler toutes les contradictions humaines et les résoudre dans la perfection de son message, elle doit être vivante poésie. Pour soutenir un projet de cette envergure, Zadkine élabore toute une rhétorique formelle, respectueuse des principes fondamentaux du cubisme, mais animée de mouvements lyriques et baroques, tantôt véhémente, tantôt apaisée, et ne s'interdisant ni la profusion ni l'humour. Les thèmes choisis sont en majorité mythologiques : traités avec la même virtuosité dans les formats moyens ou monumentaux, les Orphée, les groupes de Ménades se succèdent, tandis que Prométhée (bois, 1935, coll. part., Paris), figure énigmatique construite en larges plans formant saillie, porte de grandes brassées de flammes. Parfois, un groupe de deux figures, ou bien une figure unique, mais aux proportions monumentales, est chargé d'exprimer telle ou telle faculté créatrice de l'homme : directement taillées dans le bois d'orme, ornées de gravure, ces œuvres présentent une architecture de masse aux assises inébranlables ; elles ont une étrange sérénité, pendant que la lumière, en se coulant dans les cannelures d'un modelé uniformément en creux, fait vibrer leur surface (Homo sapiens, 1935, musée national d'Art moderne). La polychromie vient encore accentuer, de temps à autre, leur parenté avec les chefs-d'œuvre des « imagiers » du gothique septentrional. Une technique toute différente préside à la naissance des bronzes inspirés par les atrocités de la Seconde Guerre mondiale : la masse est évidée en son centre, trouée, déchiquetée comme par des obus ; dans un geste dérisoire le géant foudroyé menace en vain le ciel (La Ville détruite, 1951-1953, monument commémoratif du martyre de Rotterdam). D'incontestables réussites dans des registres aussi étrangers l'un à l'autre prouvent la qualité d'un art en perpétuelle métamorphose.

En 1979, une exposition à l'Hôtel de Ville de Paris célébrait la transformation de l'atelier du sculpteur en musée.

— Gérard BERTRAND

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