OSTINATO (L.-R. Des Forêts)
Après un silence éditorial de près de dix ans, à peine interrompu par la publication en revue (N.R.F., L'Ire des vents) ou chez de petits éditeurs (Fata Morgana, Le Temps qu'il fait) de fragments sous le titre d'Ostinato, Louis-René des Forêts s'est résolu à réunir certains de ces éléments sous forme de livre (Ostinato, Mercure de France, 1997), dans une version qu'il s'obstinait à déclarer provisoire : « Mettre le point final à l'inachevable n'est pas affaire de volonté, mais fonction dévolue à la mort. » Né en 1918, il sait alors que le moment ultime est proche, mais il ne renonce pas à se laisser emporter par le surgissement de « voix bonnes mauvaises conseillères », par la continuité du rythme et le mouvement capricieux du hasard, moteurs essentiels de son travail littéraire.
Sa tentative pour décrire son univers – « l'univers n'a de présence réelle, écrit-il, que pour qui s'en fait humblement l'écho » – et pour brosser par touches denses et retenues son autoportrait est placée sous le signe de la figure musicale baroque de l'ostinato, répétition d'une même formule rythmique qui soutient à la basse la progression de l'œuvre. L'auteur poursuit son avancée dans le monde des mots « aussi obstinément qu'en vain », en quête d'un rythme correspondant à sa respiration naturelle, avec parfois une rupture, une « dissonance qui traduise ou souligne les mouvements contradictoires de l'être, la discontinuité de son parcours » (« Des Forêts, La forme trompeuse d'un livre », propos recueillis par Patrick Kéchichian, Le Monde, 14 févr. 1997). Le texte acquiert ainsi le même pouvoir d'efficacité immédiate que la musique, cet art que Louis-René des Forêts a pratiqué dans sa jeunesse et dont il garde la nostalgie, comme du seul « lieu ou la pensée respire » et qui fait parfois régner une « ineffable beauté » (L.-R. des Forêts, Voies et détours de la fiction, Fata Morgana, 1985).
Ce livre est comme une succession de chants – au sens où Dante, cité en exergue, entendait ce mot – entre deux suspens de silence, une suite – que la répétition des thèmes rend presque litanique – de paragraphes largement séparés par des blancs. Louis-René des Forêts apporte à l'architecture et à l'aspect matériel du livre une attention mallarméenne, veillant jusqu'à la teinte saumon de la couverture « qui atténue la matière par trop sombre du contenu » (« Je n'avance que dans l'obscurité », propos recueillis par Antoine de Gaudemar, Libération, 13 févr. 1997). Dès le premier mot du texte, la tonalité de l'ensemble est posée : grise dès l'enfance, située entre rire et colère, entre océan et tempête, dans la peur des hommes et des choses qui font entendre des craquements sinistres dans la nuit, sous le regard vide d'un Dieu depuis toujours déclaré absent.
« Travail conjugué de la mémoire et du langage », l'œuvre explore les traces d'une vie qui s'obstine dans le rien. L'accumulation des tournures négatives et leur enchevêtrement tourbillonne parfois jusqu'au vertige du désastre et du renoncement, dont seul émerge ce vœu : « Que jamais la voix de l'enfant en lui ne se taise, qu'elle tombe comme un don du ciel offrant aux mots desséchés l'éclat de son rire, le sel de ses larmes, sa toute-puissante sauvagerie. » Dans cette enfance, ce qui est posé comme premier, c'est l'enfermement entre les murs impitoyables du pensionnat breton sous la férule d'un maître abusif, et non la petite enfance, dont reviennent, certes, des souvenirs de pleurs, d'humiliation ou de terreur mais aussi l'émotion produite par la beauté et la gaieté maternelle. L'élément fondateur, c'est la lutte contre la dure règle de l'établissement d'éducation, dans l'absence du père « qui l'aura vu grandir et reconnu si peu ».[...]
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Écrit par
- Aliette ARMEL : romancière et critique littéraire
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