OSTRACISME
Développement de l'ostracisme
L'ostracisme antique s'est maintenu et développé, s'introduisant dans toutes les structures d'organisation de la société ou d'interprétation des idées et des comportements. Les modifications liées à la civilisation de masse et à la division en groupes de pression ou de combat tendent à imposer à l'intelligence une lecture standardisée du monde, et l'on est fondé à croire que l'ostracisme devient de plus en plus redoutable au fur et à mesure que des groupes de plus en plus importants agissent collectivement comme si leur action était vraiment prise en charge par chacun de leurs membres. La décadence de la communication individuelle par la parole, l'accumulation des hommes dans les villes, le délire mécanique, l'interprétation de la vie par les mass media, la manipulation des décisions par les sondages, tout concourt à mettre l'esprit dans une situation de dépendance, l'ostracisme se servant alors des antagonismes idéologiques qui prennent la relève du bannissement grec et de l'anathème religieux. Pour sanctionner le délit d'opinion, pour susciter le délit d'intention, pour mettre au pas les libertés individuelles, on ne bannit plus hors de l'État, mais à l'intérieur de l'État, par les conséquences que l'exclusion publique peut avoir sur la carrière d'un homme, sur sa réputation ou, plus gravement, sur sa liberté d'expression (les motifs étant déguisés en théorisations littéraires, religieuses, idéologiques ou artistiques). L'ostracisme verrouille toute issue, d'une façon souvent invisible et sournoise, mais toujours redoutable et efficace.
Ostracisme culturel
La condamnation de Galilée montre que l'ostracisme peut mêler le combat d'idées au refus de la réalité, fût-elle irréfutable et scientifique. Le savant est condamné quand celle-ci se dévoile trop vite, mettant en cause les bases d'une culture dont la transmission empruntait le discours parathéologique. La vérité scientifique est proscrite au nom d'un modèle emprunté à un ordre autre que le sien. Au xviiie siècle, Kant justifie la proscription du génie dans la Critique du jugement (paragr. 50), en affirmant : « Si donc, quand ces deux facultés [le génie et le jugement] s'opposent, il est nécessaire de faire des sacrifices, il faudrait sacrifier plutôt quelque chose du génie, et le jugement qui, en matière d'art, s'exprime conformément à ses propres principes préférera qu'on porte quelque préjudice plutôt à la liberté et à la richesse de l'imagination qu'à l'entendement. » C'est exactement ce sacrifice que l'Inquisition exige de Galilée. Le génie est perçu comme une différence et l'ostracisme dévoile ici une de ses dimensions : il est une perversion de l'éthique de l'égalité. Mais celle-ci a deux origines historiques, selon que le référent de l'éthique est une aristocratie (de droit divin) ou le peuple. À chaque origine, moyens de coercition différents. Sur quoi Galilée avait-il mis l'accent ? Sur le mouvement, sur le libre exercice du raisonnement, sur la nécessité d'ouvrir au champ du savoir les questions constituant la chasse gardée de la théologie, sur la cohérence reliant dialectiquement l'homme et la nature, enfin sur le renversement par lequel l'évidence mathématique reléguait dans les tiroirs de la mentalité magique les postulats terroristes de la théologie. C'est l'imaginaire du concept enraciné dans la rigueur du monde physique qui est rejeté par l'Inquisition, Galilée donnant le prétexte, devenant le symbole du courant de la pensée critique et dynamique étouffé par l'enseignement fixiste hiérarchisant hérité de Platon sur le plan social et d'Aristote dans le domaine physique. Galilée[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre BOUDOT : maître-assistant à l'université de Paris-I, écrivain
Classification
Médias
Autres références
-
DESTIN
- Écrit par Catherine CLÉMENT
- 2 492 mots
Pour J.-P. Vernant, l'histoire d'Œdipe se constitue en destin en fonction de deux déterminations institutionnelles propres à la πολίς athénienne : l'ostracisme et la fête des Thargélies. L'ostracisme, procédé politique archaïque dans la structure démocratique contemporaine... -
INSTAURATION DE LA DÉMOCRATIE À ATHÈNES
- Écrit par Bernard HOLTZMANN
- 172 mots
Après le départ d'Athènes du tyran Hippias, second fils de Pisistrate, en — 510, les réformes radicales proposées par Clisthène, membre de la famille aristocratique des Alcméonides, mais chef du parti progressiste, sont adoptées. À l'ancienne structure clanique de la société...
-
NATIONALITÉ
- Écrit par Henri BATIFFOL , Patricia BUIRETTE , Encyclopædia Universalis , Jean-Éric MALABRE , Marthe SIMON-DEPITRE et Paul TAVERNIER
- 10 392 mots
...nationaux. La réponse affirmative de principe est de plus en plus générale, au moins en ce qui concerne les relations privées par opposition aux droits politiques. Toutefois, cet aboutissement est le résultat d'une longue histoire qui commence dans le monde antique par le refus de tout droit à l'étranger. -
TYRANNIE, Grèce antique
- Écrit par Pierre CARLIER
- 5 998 mots
- 5 médias
...oligarchie et tyrannie, pour les dénoncer également : la tyrannie est une oligarchie poussée à l'extrême, l'oligarchie est la tyrannie d'un petit groupe. Les adversaires de la démocratie soulignent volontiers quant à eux l'analogie entre l'ostracisme – éloignement préventif d'individus jugés dangereux –...