OSTRACISME
Les formes contemporaines de l'ostracisme
L'antisémitisme
La crainte de la métamorphose liée au refus de la liberté et à la méfiance à l'égard de l'esprit critique engendre donc l'agression à l'égard de ceux qui sont réputés différents. C'est sous cet angle que l'antisémitisme reste un des visages historiques et contemporains de l'ostracisme. Le judaïsme, religion de prêtres et de rois, n'a cessé d'être la victime des sociétés chrétiennes ou athées. Car, pour les uns comme pour les autres, il reste le témoin d'une parole première sur laquelle se fonda l'élection, qui signifie non une supériorité, mais la responsabilité de transmission de la volonté divine. Rien d'étonnant par conséquent s'il continue, malgré les dénégations hypocrites, à être attaqué de toutes parts. Ostracisme par omission, comme c'est le cas de la communauté œcuménique de Taizé, ostracisme par destruction, comme ce fut le cas de l'Allemagne nazie, ou ostracisme par élimination des fonctions, comme c'est le cas de plusieurs pays communistes, dont l'U.R.S.S., ces trois modalités relèvent, sur des plans différents, du processus historique inversé.
Le pouvoir religieux majoritaire ou en vogue ne se sert plus du pouvoir politique, et celui-ci ne s'appuie plus sur des structures ecclésiales pour ostraciser une communauté. Mais tous deux visent à détruire dans le judaïsme ce que les savants redoutaient chez les alchimistes, Philippe le Bel chez les Templiers, les paysans chez les sorciers : la recherche d'une connaissance totale fondée sur la Parole d'autant plus redoutable que sa liberté vient de l'invisible, donc de ce qui est inaccessible au contrôle des hommes et des États.
Cette crainte explique le complot sémantique qui refuse au concept « juif » une structure religieuse et le confine à la dimension politique apte à véhiculer les préjugés et les haines collectifs. C'est de cette façon que le Schéma sur les juifs du IIeconcile du Vatican emploie le mot – renouvelant l'erreur des IIIe et IVe conciles de Latran au xiiie siècle –, expulsant le contenu religieux, seul capable cependant de faire prendre conscience aux foules du monde chrétien de la profondeur théologique et culturelle de la communauté juive. Le risque n'est pas négligeable qui consiste à voir justifier les pogroms éventuels du xxie siècle par ce Schéma dans lequel un mot politisé – donc abandonné aux passions – est aussi dangereux pour les Temps modernes que la notion de déicide le fut pour le Moyen Âge. Sartre a écrit très justement que « c'est l'antisémite qui crée le Juif ». Il est à craindre que les hommes politiques à venir, fussent-ils athées, se fondent sur le contenu implicite du mot « juif » présenté par le Schéma pour nier chez les juifs le substrat religieux de leur origine, les ostracisant à l'intérieur de leur conscience, les traitant comme des « déviants » idéologiques simplement parce qu'ils sont nés juifs. Ce qui prolongerait les crimes de Hitler et de l'Europe occupée traitant les juifs comme des hors-la-loi de naissance en acceptant qu'il en soit ainsi. On voit ici comment l'ostracisme arrive à se dissimuler dans le paternalisme, celui-ci étant un comportement dans lequel la mauvaise foi enveloppe la volonté d'exclure ou de réduire, provisoirement entravée par l'histoire. Sans l'affaire Dreyfus et sans les camps de concentration, le IIe concile du Vatican n'aurait pas songé aux juifs ; par le moyen des livres de Drumont, de Hitler ou de Rosenberg, aussi bien que des discours rectoraux de Heidegger, le Concile et l'opinion publique ont saisi que le judaïsme est d'abord la victime de contresens sémantiques ou de querelles politiques.
L'antisémitisme et l'antijudaïsme[...]
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Écrit par
- Pierre BOUDOT : maître-assistant à l'université de Paris-I, écrivain
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Médias
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