Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

OTHELLO, William Shakespeare Fiche de lecture

William Shakespeare - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

William Shakespeare

Jouée pour la première fois sans doute en 1604 et publiée en 1622, cette tragédie de William Shakespeare (1564-1616) emprunte les éléments principaux de son intrigue à une nouvelle italienne du xvie siècle parue à Venise en 1565. Il semble impossible de déterminer si le dramaturge anglais avait eu connaissance de l'original italien, paru dans De gli Ecatommiti de Giambattista Giraldi Cinthio, ou Cinzio (1504-1573), ou de sa traduction française de Gabriel Chappuys, publiée dans le Premier Volume de cent excellentes nouvelles (1584). Mais d'une histoire de meurtre assez sordide, il fait une tragédie de l'amour passionnel d'une intensité exceptionnelle, où le sacrifice de la femme trop aimée prend valeur de rite sacrificiel. Othello est la plus domestique de toutes les tragédies de Shakespeare, et celle dont l'intrigue, à l'exclusion de toute intrigue secondaire, est la plus resserrée autour de son héros tragique, l'inoubliable Maure de Venise. Elle a pour thème les convulsions de la jalousie, ce « monstre aux yeux verts » qui vient hanter un héros trop crédule, fragilisé par son statut d'étranger et marié par amour à la belle Desdémone, fille d'un Magnifico de la Sérénissime.

L'inquiétude, le soupçon, la mort

La tragédie s'ouvre sur le mariage secret entre les deux amants que tout oppose et sur la vision d'un amour sublime qui fait fi de toutes les conventions. S'il est une pièce maîtresse dans le dispositif défensif de ce fragile bastion de la civilisation qu'est Venise, Othello, général des armées vénitiennes, mais ancien esclave devenu mercenaire, n'en incarne cependant pas les valeurs par la naissance ; sa présence n'est tolérée que tant qu'il n'enfreint aucune des lois de la bienséance. Brabantio, père de Desdémone, s'oppose au mariage de sa fille et crie à la trahison, avant de se résigner devant la raison d'État qui exige le départ d'Othello pour Chypre – où se déplace l'action à partir de l'acte II –, possession de Venise menacée par les Turcs ; reniant sa fille, il lance un avertissement prophétique dont saura se souvenir le Maure : « Surveille-la, Maure, si tu as des yeux pour voir :/ Elle a trompé son père, elle peut bien te tromper. » Or, dès la fin de l'acte I, celui qu'Othello nomme l'« honnête, honnête Iago », son enseigne et homme de confiance, discerne dans le jeu des contingences les contours d'un monstrueux complot, qui lui permettra de mettre en œuvre sa vengeance, gratuite, contre un général trop chanceux : « le plan est engendré ; à la Nuit, à l'Enfer/ De porter cette monstrueuse naissance à la lumière ». Improvisateur hors pair, metteur en scène des désirs et des fantasmes des autres, l'envieux Iago, à l'aide de sa dupe Roderigo (lui-même amoureux malheureux de Desdémone), manigance à l'acte II la perte de Cassio, lieutenant et ami de Desdémone et d'Othello, pour la seule raison qu'il possède « une quotidienne beauté dans sa vie/ Qui [le] rend laid » (V, 1). Une fois Cassio tombé en disgrâce auprès du Maure pour atteinte à l'ordre public, il ne reste plus à Iago qu'à inciter le lieutenant à plaider sa cause auprès de la belle Desdémone et, dans le même instant, à jeter le soupçon auprès d'Othello sur la nature de leur relation. La scène 3 de l'acte III, exactement au centre de la pièce, en représente le tournant : véritable corrupteur de mots et de regard, Iago tisse la toile qui prendra Othello au piège, insinuant d'abord le doute, puis le convainquant de la noirceur de la blanche Desdémone. Au début de la scène encore, le Maure se porte garant de l'innocence de Desdémone : « Excellente créature, que la perdition prenne mon âme/ Si je ne t'aime pas, et quand je ne t'aimerai plus,/ Le chaos sera de retour ». Mais sous nos yeux, assiégé par les soupçons que distille habilement son tentateur, voilà qu'il perd pied, vacille, jusqu'à ce que la « preuve oculaire » du mouchoir, gage d'amour dont il fit présent à Desdémone[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégée d'anglais, ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, maître de conférences à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis

Classification

Média

William Shakespeare - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

William Shakespeare

Autres références

  • SHAKESPEARE WILLIAM (1564-1616)

    • Écrit par
    • 8 303 mots
    • 5 médias

    Il serait passionnant de tracer la courbe de la réputation de Shakespeare, car aucune œuvre, la Bible mise à part, n'a suscité autant de commentaires, sollicité autant de chercheurs, donné lieu à autant de controverses. Mais le consensus sur la grandeur et la profondeur de l'œuvre est universel. Depuis...