OTHELLO, William Shakespeare Fiche de lecture
Un drame baroque
Ultime variation sur l'oxymore, figure obsédante de la pièce, le suicide final d'Othello – dans le même moment justicier et coupable –, Vénitien turc ou Turc vénitien, rend paradoxalement au Maure la dimension héroïque qu'avaient passablement mise à mal les maléfices d'un Iago machiavélien et maître de l'illusion. Car Othello offre l'une des plus magistrales réflexions sur le théâtre de toute l'œuvre de Shakespeare, mais dans une perspective toute baroque. Rien, en effet, n'arrive vraiment dans la pièce. Et pourtant, dans la béance qui se creuse entre l'apparence et l'être, entre les choses et les mots pour les dire, Iago l'acteur et l'improvisateur de vies parallèles pour les autres, entrés sans le savoir dans les scénarios que lui souffle son désir de puissance et de destruction, introduit un principe d'incertitude qui ravage totalement l'univers métaphysique d'Othello. Les perspectives dépravées de cette herméneutique satanique à laquelle l'initie Iago reposent sur la disproportion saisissante entre la cause objective et l'effet produit : par une préscience extraordinaire des mécanismes obscurs de l'inconscient, Shakespeare montre comment Othello tire de sa propre imagination, de sa propre fragilité d'homme noir qui se voit par le regard des Vénitiens, les monstrueuses visions de luxure et de trahison qu'il attribue à Desdémone. Premier héros à la peau noire à venir hanter l'imaginaire occidental – la figure du Maure dans le théâtre élisabéthain était cantonnée jusque-là au stéréotype du « villain » –, il est aussi profondément universel par l'exploration des gouffres intimes où le conduit son humaine fragilité, prix à payer pour passer de l'innocence à la connaissance. Avec cette anatomie du crime passionnel, Shakespeare venait de créer la première tragédie moderne de la passion.
La tragédie de Shakespeare a inspiré de nombreuses imitations et transpositions. Citons notamment l'opéra de Verdi, d'après un livret d'Arrigo Boito (1887), et le film d'Orson Welles, grand prix du festival de Cannes (1952).
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Écrit par
- Line COTTEGNIES : agrégée d'anglais, ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, maître de conférences à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis
Classification
Média
Autres références
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SHAKESPEARE WILLIAM (1564-1616)
- Écrit par Henri FLUCHÈRE
- 8 303 mots
- 5 médias
Il serait passionnant de tracer la courbe de la réputation de Shakespeare, car aucune œuvre, la Bible mise à part, n'a suscité autant de commentaires, sollicité autant de chercheurs, donné lieu à autant de controverses. Mais le consensus sur la grandeur et la profondeur de l'œuvre est universel. Depuis...