BAUER OTTO (1881-1938)
Tenu pour un des plus éminents représentants de l'austro-marxisme, Otto Bauer s'inscrit dans la lignée antidogmatique de la pensée marxiste en s'efforçant de créer une troisième voie entre le bolchevisme et la social-démocratie.
Né à Vienne d'une famille originaire de Bohême, le 5 septembre 1881, Bauer a vingt-quatre ans quand il publie, après de brillantes études de droit et d'économie, La Question des nationalités et la social-démocratie. Membre de la gauche du S.P.Ö. (Parti social-démocrate autrichien), il dirige la revue Kampf (Combat). Fait prisonnier par l'armée russe et envoyé en Sibérie au cours de la guerre de 1914, il est libéré, à la demande de Kautsky, par le soviet de Petrograd. Dès son retour à Vienne, il prend la direction de l'Arbeiter Zeitung, journal de la social-démocratie. Lors de la chute de l'Empire austro-hongrois, il milite en faveur des conseils ouvriers et devient chef de la fraction de gauche. Ses articles seront réunis sous le titre La Marche au socialisme. En 1934, il participe à la lutte contre le coup d'État de Dolfuss et des chrétiens-sociaux. Après l'écrasement du mouvement ouvrier, il se réfugie en Tchécoslovaquie, puis à Paris, où il meurt le 3 juillet 1938.
Comme Max Adler, Otto Bauer a subi l'influence du Capital, de Bernstein, des néo-kantiens, d'Ernst Mach. Son ouvrage La Théorie marxiste des crises économiques est publié sur les instances de Karl Kautsky, avec qui il entretiendra une longue correspondance. La fin de l'Empire et la République, où il est pour un temps secrétaire aux Affaires étrangères, l'incitent à prendre ses distances par rapport au parti bolchevique et à la social-démocratie. Il élabore alors son projet d'une troisième voie vers la révolution. Avec Max Adler, Karl Renner, Rudolf Hilferding, Gustave Eckstein, il combat le développement du marxisme autoritaire et la sclérose des analyses. Selon lui, « chaque étape doit produire son Marx ». Dans La Question des nationalités et la social-démocratie (1907, rééd. 1924), il attend du socialisme non qu'il nivelle les diversités nationales mais que, entraînant l'autodétermination, il efface les antagonismes et les archaïsmes et conserve ce qu'il y a de spécifique à chaque ethnie. Ainsi Otto Bauer prône-t-il la pluralité des caractères nationaux dans l'unité d'un socialisme fondé sur la liberté des individus.
Sa conception de la « révolution lente » et de la violence réduite à une attitude d'autodéfense a eu l'infortune de paraître inopportune à une époque où l'affrontement brutal des idéologies était inévitable, en raison des crises de mutation du capital. Comme Max Adler, Otto Bauer s'est attiré le reproche d'intellectualiser les véritables conflits et d'édulcorer la violence des réponses qu'ils exigeaient, du moins si l'on ne choisissait pas de les éviter par la fuite et la dérobade. Bien qu'il écrive que « la révolution politique n'est que la moitié de la révolution sociale », sans doute n'a-t-il trouvé que la politique à opposer aux bolcheviques, qui faisaient la révolution sociale à moitié, aux dépens des masses et au profit des instances bureaucratiques du parti.
Sa marche au socialisme, qui propose une organisation d'entreprise formée par un tiers de travailleurs, un tiers de consommateurs et un tiers d'entrepreneurs, n'offre qu'une version abâtardie du conseil ouvrier, telle qu'elle s'accordera avec le contrôle étatique en Yougoslavie. Sa contribution la plus importante à la révision du marxisme restera sans doute la volonté d'auto-éducation, qu'il n'a jamais cessé de revendiquer comme la meilleure garantie de refus de toute tyrannie.
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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