DIX OTTO (1891-1969)
Un réalisme critique
Mais la provocation n'a qu'un temps. Otto Dix amorce une autre étape. Il évolue vers une représentation de la vie dans sa « vérité », vers « l'ordre froid » d'une Nouvelle Objectivité, plus spécifiquement vers le réalisme incisif du « vérisme ». Ces noms, dans la presse, désignent les courants qui succèdent aux « désordres » de l'expressionnisme et du mouvement dada. À travers une forme soignée, prouvant qu'il domine parfaitement le « métier », Dix s'impose comme un éminent portraitiste (La Journaliste Sylvia von Harden, 1926, Centre Georges-Pompidou, Musée national d'art moderne de Paris). En outre, il aborde, à l'opposé de ce qui pourrait être attendu d'un pareil savoir-faire, les sujets les plus triviaux, ou les plus dérangeants pour les élites politiques : mutilés dans les rues (Le Marchand d'allumettes I, 1920, galerie de la Ville, Stuttgart), vieillards, mendiants, prostituées (le triptyque Grande Ville, 1927-1928, galerie de la Ville, Stuttgart).
Il déclenche également des polémiques avec un immense tableau, La Tranchée, attraction de la réouverture du musée de Cologne, le 1er décembre 1923. Afin d'éviter une forte émotion aux visiteurs, ce tableau n'a pas été accroché à l'entrée, mais au premier étage, derrière un rideau. Une besogne « à vomir », dénonce Julius Meyer-Graefe, célèbre historien d'art. Le tribunal est saisi de l'affaire, et Dix est acquitté lors du procès pour atteinte au moral de la nation. Toutefois, le musée doit se séparer de La Tranchée, œuvre estimée trop choquante dans une institution publique.
En 1933, c'est en invoquant l'immoralité de ses dessins et tableaux de guerre que les autorités nazies le suspendent du poste d'enseignant qu'il occupe, depuis 1927, à l'École des beaux-arts de Dresde. En 1934, lui est notifiée l'interdiction d'exposer. Dans les musées, ses tableaux sont mis à l'écart. En 1937, à Munich, ils sont exhibés pour stigmatiser les « monstruosités » de l'art dit « dégénéré ». Plusieurs sont brûlés en mai 1936 et en mars 1939, dont vraisemblablement La Tranchée, qui n'a jamais été retrouvé.
Pour contourner la censure, Dix participe à quelques expositions à l'étranger. Cependant, décidé à rester en Allemagne, il est obligé, sous peine de poursuites, de se soumettre. Attitude à laquelle il se résigne en rejetant toute compromission. Avec sa femme et ses trois enfants, il se retire près du lac de Constance, dans le village de Singen, puis dans celui de Hemmenhofen.
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Écrit par
- Lionel RICHARD : professeur honoraire des Universités
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