DIX OTTO (1891-1969)
D'une guerre à l'autre
Obsédé par le thème de la guerre, Otto Dix y revient encore de 1934 à 1936, attelé à une toile de grand format, Flandres (Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Berlin), inspirée par sa lecture de Feu (1916), le roman d'Henri Barbusse. Trois soldats au premier plan, blottis l'un contre l'autre, avec un champ de ruines sur le fond et un ciel crépusculaire. Toutefois deux types de peinture, où il masque son opposition au nazisme, lui servent de refuge dans l'« émigration intérieure », qu'il s'est choisie. D'une part, des allégories sur des thèmes bibliques, comme Les Sept Péchés capitaux en 1933 (Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe), La Tentation de saint Antoine en 1944 (fondation Otto Dix, Vaduz, Lichtenstein), Loth et ses filles en 1939, collection particulière. D'autre part, des dessins ou tableaux de paysage contredisant les critères d'harmonie et de paix cosmiques que les nazis exaltent en se référant au peintre romantique Caspar David Friedrich, selon eux représentatif de « l'âme allemande ». Dix suggère au contraire, à travers Le Cimetière juif de Randegg (Saarlandmuseum Saarbrücken, Allemagne) en 1935, Randegg sous la neige avec corbeaux en 1935 (Fondation Otto Dix, Vaduz, Lichtenstein), Glace qui se brise avec arc-en-ciel à Steckborn en 1940 (Museum zu Allerheiligen, Schaffhausen, Suisse), que la nature, loin d'être harmonieuse, est pénétrée d'un drame latent.
En février 1945, à la suite d'une dénonciation, Otto Dix est enrôlé dans les troupes territoriales de réserve. Deux mois plus tard, il est fait prisonnier par les troupes françaises en Forêt-Noire. Enfermé dans un camp près de Colmar, il n'est libéré qu'en février 1946. Retrouvant sa famille et ses activités à Hemmenhofen, il renoue avec les expositions. Dans un élan d'affranchissement, il jette par-dessus bord les entraves du « métier », désireux d'abandonner, dit-il, les procédés de « camelote » qu'il a empruntés à la Renaissance. Plus de peinture au glacis. Aspirant à se retremper dans son état d'esprit anticonformiste de 1919-1920, il vise à un art plus « spontané », sans virtuosité technique.
Néanmoins, il demeure hanté par les mêmes sujets que dans les années 1930 : scènes de guerre, portraits et autoportraits, paysages, épisodes bibliques. La nouveauté, cette fois, réside dans un authentique sentiment religieux. Il l'exprime avec originalité dans des séries de pastels, des cycles de lithographies, et jusque dans des fresques murales ou des vitraux pour des collectivités.
La variété des styles est donc, par phases successives, une particularité de l'œuvre d'Otto Dix. Réceptif aux mutations de la société allemande, de la Grande Guerre au nazisme en passant par la république de Weimar, il a transféré dans sa peinture les changements qu'il éprouvait comme une conséquence des situations auxquelles il se voyait contraint de s'affronter.
En tant qu'artiste, Otto Dix fut jusqu'à sa mort, en juillet 1969, un solitaire. S'il accepta, au fil de son existence, d'apporter sa contribution passagère à divers courants, jamais il ne s'est plié à des dogmes, soucieux de ne se laisser embrigader dans aucun groupe ni parti. Reste que, en dépit de cette indépendance, son œuvre exprime une vision engagée, critique, de la société de son temps. Même si elle prend appui sur un réalisme expressif moins strictement antibourgeois que symbolique.
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Écrit par
- Lionel RICHARD : professeur honoraire des Universités
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