MUEHL OTTO (1925-2013)
Les travaux artistiques les plus significatifs de l’artiste autrichien Otto Muehl datent de la période de l’actionnisme viennois, de 1962 à 1970, dont il était cofondateur. Tout comme Günter Brus, Adolf Frohner, Hermann Nitsch, Alfons Schilling et Rudolf Schwarzkogler, Muehl – d’une dizaine d’années leur aîné – remet en question l’art traditionnel et le remplace par l’action.
Le corps dégradé
De 1943 à 1945, Otto Muehl (né en 1925 à Grodnau, Autriche) sert dans la Wehrmacht, une expérience qui aura un fort retentissement sur son œuvre. Doté d’une connotation politique antifasciste et anticapitaliste, le travail de Muehl se veut une critique de la civilisation. Transposant dans ses actions ses souvenirs de guerre en douleur et cruauté, l’artiste cherche plus encore à exorciser une honte de vivre dans un pays qui – selon lui – fait semblant d’ignorer son passé en maintenant un état d’esprit conservateur et réactionnaire. Après avoir enseigné le dessin et la thérapie par l’art dans une école privée de 1954 à 1963, il découvre l’art informel et l’expressionnisme abstrait dans les années 1960. Dès 1961, il rejette les formes précises et les compositions ordonnées, estimant que l’expression est d’autant plus authentique qu’elle est impétueuse. Muehl détruit littéralement – et symboliquement – la peinture de chevalet et pose sa toile à même le sol. Avec de la peinture, du plâtre et de la poudre, il creuse l’énergie qui en émane, l’intention principale étant le geste spontané et incontrôlé issu du subconscient, qui rend visible l’action du corps. Les Materialbilder de Muehl ont pour but de s’approprier l’inconnu, l’abyssal ; elles offrent au regard des amoncellements de couleurs et de matières salies et mutilées, suggérant le désordre de la nature.
Ces œuvres, ainsi que ses Gerümpelskulpturen – des ensembles en ferraille ressemblant à des débris, inarticulés, monstrueux et absurdes – sont présentées au public en juin 1962 dans la cave-atelier de Muehl, lors de la première manifestation collective des actionnistes viennois. En choisissant la crasse et la rouille, il crée un contraste avec les matières luisantes et aseptisées de l’industrie moderne ; il exalte l’objet ou le matériau détérioré que la société a mis au rebut.
Les actionnistes, dans leur manifesteDie Blutorgel paru pour l’occasion, prônent le refus des conventions, le travail avec un matériau vivant sollicitant la totalité des sens, la recherche de la catharsis. Par l’engagement corporel total, témoin d’une réalité intérieure, l’être humain devient matériau artistique.
En 1964, Otto Muehl débarrasse l’objet – y compris le corps humain, littéralement dégradé – de ses significations pour mettre en avant sa matérialité : les Materialaktionen. Ensevelissement d’une Vénus, Test alimentaire ou O Tannenbaum ont lieu devant un public en tant que « peinture ayant transgressé la surface picturale ». L’artiste utilise des aliments – farine, œufs, confiture, etc. – à la place de peinture. Il compose une réalité sensorielle dont l’expérience doit être partagée, vécue de manière directe grâce aux cinq sens – ici, le public est comme investi d’une « charge active ». Se distinguant clairement du théâtre traditionnel, représentatif, Muehl prône la non-représentation. Le potentiel esthétique de ce phénomène, annoncé par Antonin Artaud, est radicalisé par la matérialisation du corps. Dans ce cadre, l’action et ses épiphénomènes fusionnent tout comme l’art et la réalité. Toutefois, ces actions ne se mêlent pas encore à la vie quotidienne. Elles ont lieu dans un endroit et à un moment précis.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Matthias SCHÄFER : docteur en histoire de l'art, enseignant
Classification
Autres références
-
ACTIONNISME VIENNOIS
- Écrit par Matthias SCHÄFER
- 2 242 mots
Sous l'influence de Brus, Otto Muehl introduit le geste spontané et incontrôlé dans sa peinture, allant jusqu'à se rouler sur les toiles. En 1961, avec le sculpteur Adolf Frohner, il décide de détruire symboliquement et physiquement le tableau de chevalet. -
BODY ART
- Écrit par Anne TRONCHE
- 4 586 mots
- 1 média
...avait esquissé en 1957 avec son Théâtre des orgies et des mystères, l'artiste Hermann Nitsch entreprend des « actions » avec les peintres Otto Muehl et Günter Brus. Engagés dans un expressionnisme gestuel, ils passent de la peinture à l'acte, prennent à leur compte l'antiformalisme qui...