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PÄCHT OTTO (1902-1988)

Le style comme vision du monde

À l'inverse, par une approche conceptuelle des faits artistiques mais qui reste fondée sur l'observation directe des œuvres, Otto Pächt parvient à définir les critères de validité pour une enquête objective en histoire de l'art. Il est très éloigné de la synthèse brillante, à la Erwin Panofsky (Idea, par exemple, publié la première fois à Berlin, en 1924) ou à la Meyer Schapiro (Style, paru d'abord sous forme d'article en 1953, repris en traduction dans le recueil intitulé Style, artiste et société, éd. Gallimard, Paris, 1983), qui tous deux, à leur manière, abordent cette problématique du développement des styles dans l'histoire des arts. Mais, alors qu'Erwin Panofsky examine la question dans la perspective de l'humanisme philosophique, alors que Meyer Schapiro ouvre son analyse aux sciences sociales, Otto Pächt s'efforce de cerner les symptômes qui, dans l'œuvre, signalent les glissements d'une vision du monde à une autre. Par là, il se rattache à la conception que Riegl avait exprimée comme au deuxième niveau, peut-être, par l'expression de Kunstwollen : les changements de style témoignent de la substitution d'une série d'idéaux esthétiques à une autre et forcent l'historien de l'art à tenter la généalogie de ces systèmes d'idées.

Étudiant la décoration de la page en tapis ornemental, dans l'art insulaire du viie siècle, à partir des exemples du Livre de Kells et des Évangiles de Lindisfarne, Otto Pächt commente la stylisation ainsi réalisée en ces termes (L'Enluminure médiévale, p. 174) : « Le but recherché est un ennoblissement des formes naturelles, même si nous n'avons tendance à n'y voir qu'une déformation barbare. Un ennoblissement qui va consister à assimiler ce que l'homme primitif (ou mieux l'homme habitué aux productions d'une imagination abstraite) considère comme de l'informe aux formes depuis longtemps admises de l'ornementation [...]. C'est ainsi que la forme naturelle, qui est manifestement aux yeux des primitifs un état brut, qui est, si l'on veut, dépourvue de beauté, se transforme en calligraphie. » La stylisation des drapés en bandes de couleurs, des boucles de cheveux en spirales et de la barbe en volutes s'avère dans les faits un processus rigoureux de mise en forme, traduisant la compréhension du monde de toute une société. De même, nous avons vu comment l'essor du style narratif en peinture sur manuscrit, au début du xiie siècle en Angleterre, dans le réseau des grandes abbayes, accompagnait l'évolution des sentiments religieux vers la représentation plus humanisée de la foi.

Au sein du processus qu'il retrace de la sorte, demeure la question de l'individualité dans l'art médiéval, celle du motif singulier, celle encore de la figure insolite, celle enfin de la personnalité de l'artiste. Le motif, la figure, ce qui relève de l'iconographie, apparaissent à Otto Pächt comme étroitement subordonnés à l'orientation de l'ensemble. De ce point de vue, dans son livre sur L'Enluminure médiévale, il remarque que la majesté du Christ suit les transformations de la peinture sur livre. Vers 1400, sur une page des Très Belles Heures du duc de Berry, l'ancien schéma de la représentation théophanique d'époque carolingienne cède la place à la représentation d'un beau ciel bleu, où l'artiste répartit logiquement les quatre attributs des évangélistes mais sans plus comprendre leurs relations symboliques : au registre inférieur, le lion et le taureau sont posés sur une bande de terre ; au registre supérieur, l'aigle et l'ange sont dans les airs. La personnalité de l'artiste et, surtout, la liberté de ses choix sont plus problématiques. Dans son introduction à l'œuvre de Riegl, dans ses [...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, ancien membre de l'École française de Rome, professeur d'histoire de l'art médiéval à l'université de Bourgogne

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