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PREMINGER OTTO (1906-1986)

Un éclectisme trompeur

Il n'est pas exagéré de penser que Preminger a accompli la première partie de son programme. Mais le démocrate engagé, adversaire de toutes les censures, ne va pas se contenter du statut d'incontestable cinéaste de studio. Preminger incarne à cet égard l'esprit d'indépendance qui anime la part éclairée du cinéma américain de son temps, représentée par Wilder, Kazan, Stevens ou Mankiewicz. Se libérant peu à peu de la tutelle du studio, devenant son propre producteur, Preminger aborde plusieurs sujets tabous, qui constituent autant d'entorses au code de production mis en place par la profession cinématographique en 1934. Il évoque ainsi la virginité féminine (La lune était bleue, 1953), la liberté d'expression dans l'armée (Condamné au silence, 1955) ou l'addiction à l'héroïne (L’Homme au bras d’or, 1955). L'époque ne l'empêche pas de donner dans le divertissement de grande qualité, comme l'attestent les deux productions de 1954 : Rivière sans retour (avec Robert Mitchum et Marilyn Monroe) et Carmen Jones, magnifique adaptation de l'opéra de Bizet avec Dorothy Dandridge (une des « fiancées » du cinéaste) et une distribution intégralement afro-américaine. Toujours intéressé par les actrices, Preminger « découvre » Jean Seberg avec qui il réalise en 1957 et en 1958 deux autres œuvres dont l'importance sera surtout reconnue par la critique française : Sainte Jeanne (d'après G. B. Shaw) et l'adaptation de Bonjour Tristesse. Jean-Luc Godard n'a jamais caché ce que le personnage de Patricia dans À bout de souffle, interprété par la jeune actrice américaine, devait à celui de Cécile dans le film de Preminger − et Godard d'inscrire la Nouvelle Vague dans une relation d'héritage et de filiation avec le cinéma américain. Autopsie d’un meurtre (1959) reste à cet égard − avec Rio Bravo et La Mort aux trousses − un des moments d'accomplissements du classicisme hollywoodien pour la critique française. Il est vrai que ce modèle de film de procès, accompagné par la musique de Duke Ellington, fascine surtout par le caractère positif des personnages, et notamment celui de l'avocat Paul Biegler qu'interprète James Stewart. La même énergie est mise au service des sujets historiques (Exodus, 1960) et politiques (Tempête à Washington, 1962). Pour beaucoup, Le Cardinal (1963), presque contemporain de la chute du système des studios, marque la fin de la grande époque du cinéaste. Film monumental qui évoque l'institution politique de l'Église aux prises avec l'histoire du siècle, Le Cardinal apparaît au contraire comme l'un des jalons essentiels d'une œuvre à la fois formelle et impliquée. Il est vrai que la fin de la carrière de Preminger fut moins inspirée, à l'exception notable de Bunny Lake a disparu (1965) et du trop méconnu The Human Factor (1979), œuvre ultime où l'adaptation du roman d'espionnage de Graham Greene est transcendée par la mélancolie de la cérémonie des adieux. Mais il ne faut pas oublier que les années 1960 et 1970 furent difficiles pour tous les grands cinéastes de Hollywood qui durent s'adapter à un âge avancé à des conditions à la fois nouvelles et précaires − où un échec était synonyme de retraite anticipée ou de silence imposé.

Otto Preminger avait mauvais caractère et traitait souvent cruellement ses actrices. On ne prête sans doute qu'aux riches, en dépit des témoignages de Jean Seberg ou Dorothy Dandridge. Ces faits importent peu et ne sont que l'écume d'une réalité qui doit se juger sur les œuvres. Cependant, Preminger ne dédaignait pas de faire l'acteur. Sa composition de nazi dans Margin for Error conduisit Billy Wilder à lui confier un rôle équivalent, celui d'un directeur de camp de prisonniers[...]

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Écrit par

  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

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