OULÉMAS, OULAMAS ou ULÉMAS
Les « tout-puissants oulémas »
En tant que défenseurs de l'intégrité de la foi et des institutions fondamentales de l'islam (statut personnel et successoral), il est certain que les oulémas furent tout-puissants jusqu'à une époque relativement récente, peut-être parce qu'avant le xixe siècle l'islam n'avait été réellement confronté, dans ce domaine, avec aucune autre « idéologie » que la sienne. Mais, quand les influences étrangères ont commencé à s'y faire sentir, vers le milieu du xixe siècle, les oulémas sont alors devenus, dans l'esprit du musulman peu enclin à la critique, le symbole d'un conservatisme, plutôt rétrograde, et, dans l'esprit de leurs adversaires modernistes, les tenants d'une politique de refus catégorique de toute évolution intellectuelle et sociale. Dans leur lutte pour le maintien des structures anciennes, les oulémas ont subi quelques grands échecs (Tanzīmāt ottoman au milieu du xixe siècle, réforme judiciaire en Égypte à la fin du xixe siècle) ; mais, dans l'ensemble, leur influence dans ce domaine est loin d'avoir été négligeable, comme en témoigne la timidité des retouches au droit traditionnel apportées par le législateur moderne dans les codes du statut des personnes et dans les lois sur la famille promulguées dans de nombreux pays arabes.
Une mention spéciale doit être réservée au continent indien. L'influence des oulémas y fut toujours plus marquée que partout ailleurs dans l'islam, peut-être en raison du coude à coude quotidien avec des populations hindoues, qui obligeait les musulmans à se serrer autour de leur chef spirituel ; mais cette explication ne rend pas compte de l'autorité que les oulémas ont conservée aujourd'hui encore au Pakistan, cependant en totalité musulman, où on les voit traiter d'égal à égal avec l'État, comme dans leur manifeste constitutionnel de 1951, paru à Karachi sous le titre Ulama's Amendments to the Basic Principles Committee's Report.
Si, dans le domaine de la défense des principes fondamentaux de l'islam, le pouvoir des oulémas fut très étendu et le reste aujourd'hui encore, force est de constater qu'ils ont assez peu souvent infléchi la politique générale des souverains dans le passé, et encore moins à l'époque contemporaine. Encore faut-il ne pas les créditer de succès dont l'histoire n'apporte pas la preuve certaine. Ainsi, E. W. Lane, décrivant la situation en Égypte au début du xixe siècle, constate que les oulémas « ont perdu aujourd'hui toute leur influence sur le gouvernement » après avoir affirmé que « le Conseil des oulémas tint souvent en respect les pachas turcs et les chefs mamlouks, et mit un frein à la cruauté de ces derniers ». Un second exemple illustre cette fréquente impuissance des oulémas à peser sur la politique générale des souverains : quand, au Maroc, au début du xvie siècle, le pouvoir chérifien eut entrepris de détruire la dynastie toucouleur fixée à Gao, et qui avait fait de Tombouctou un foyer de l'islam missionnaire, aucune des véhémentes protestations des oulémas marocains de l'époque ne réussit à l'en dissuader.
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Écrit par
- Yvon LINANT DE BELLEFONDS : directeur titulaire au C.N.R.S.
- Guy MONNOT : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
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