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OUM KALSOUM (1904-1975)

L'engagement

La voix d'Oum Kalsoum, d'une puissance et d'une étendue extraordinaires, embrassait toute la tessiture du oud (luth), c'est-à-dire toute la gamme orientale. L'émission, au timbre très pur, inlassablement prolongée avec de subtiles modulations, plongeait l'auditeur oriental dans une sorte d'extase voluptueuse. Ses chansons de scène duraient plus d'une heure. Oum Kalsoum a tenu la gageure de chanter, sans contradiction, simultanément, l'amour et le sentiment religieux. Elle avait commencé sa carrière au moment où le public prisait tout particulièrement les chansons frivoles et grivoises. Or la fille du cheikh n'avait à son répertoire que des chants religieux. Et elle ne se dépouilla jamais de la plus grande pudeur, et même d'un certain ascétisme. Pourtant, Oum Kalsoum, qui restera la chanteuse de l'amour, mais d'un amour sublimé, faisait naître chez ses auditeurs une exaltation où l'extase mystique n'avait guère de part.

Alors que, au cours des années 1920, la chanson arabe s'abâtardissait par l'imitation du chant occidental, Oum Kalsoum régénéra le chant arabe authentique. On chercherait vainement dans ses chansons la plus infime trace d'influence occidentale. Et c'est sans doute pourquoi elle a tant ému les masses arabes. Elle donnait aux Arabes le sentiment profond de la grandeur et de l'originalité de leur civilisation. Elle les ramenait à leurs sources, à leur irréductible identité. Ils se reconnaissaient en elle. Elle les révélait à eux-mêmes en un temps où, pour la plupart, ils étaient des peuples colonisés. Elle leur faisait sentir leur solidarité. Et ce qu'elle chantait, la manière dont elle le chantait, il semble bien que seul un Arabe pût en sentir et en goûter pleinement la beauté.

Toutefois, l'envoûtement exercé par la voix d'Oum Kalsoum sur les Arabes de toutes conditions (les plus riches payaient à prix d'or des places pour assister à ses concerts, les plus pauvres l'écoutaient agglutinés autour des postes de radio) a suscité de la part de certains de ses compatriotes ou coreligionnaires de vives critiques. Ils lui reprochaient d'agir comme une sorte de narcotique, d'être un facteur de démobilisation des énergies révolutionnaires malgré ses sentiments indéniablement patriotiques (l'hymne national égyptien fut, de 1960 à 1979, une chanson d'Oum Kalsoum, Walla Zaman Ya Selahy) et sa contribution à la collecte de fonds pour l'effort militaire. Mais, chez elle, la générosité s'accompagnait de beaucoup d'ostentation, et elle avait amassé une immense fortune. Ces contingences n'ont cependant guère affecté sa gloire d'artiste, et le nombre de ses admirateurs dépasse de loin celui de ses détracteurs.

— Raymond MORINEAU

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Écrit par

  • : journaliste, ancien maître de conférences à l'université d'Alexandrie

Classification

Média

Oum Kalsoum - crédits : Bettmann/ Getty Images

Oum Kalsoum