OURANOS
Premier fils de la Terre (Gaia) qui l'enfanta, Ouranos est « égal à elle-même et capable de la couvrir tout entière, Ciel étoilé, qui devait offrir aux dieux bienheureux une assise sûre à jamais » (Hésiode, Théogonie, 126 sqq.) Mais, avant de devenir le séjour privilégié des Olympiens, de voir son nom se changer en un nom commun, Ouranos fut leur ancêtre à tous, bien malgré lui d'ailleurs. Avec Gaia, sa mère, il eut en effet un grand nombre d'enfants : les six Titans et les six Titanides, les trois Cyclopes et les trois Hécatonchires. Mais, aussi soupçonneux que fécond, il haïssait sa progéniture et s'empressait de l'enfouir dans le large sein de Gaia. Lasse de ces étreintes répétées et brutales, révoltée du sort infligé à ses rejetons, celle-ci ourdit une ruse cruelle ; de l'acier qu'elle créa, elle fit une faucille, puis exhorta ses enfants à la venger : « Fils issus de moi et d'un furieux, si vous voulez m'en croire, nous châtierons l'outrage criminel d'un père, tout votre père qu'il soit, puisqu'il a le premier conçu œuvres infâmes » (ibid., 164-166). Seul Cronos répondit à l'appel de sa mère. Placé par elle en embuscade, il attendit que son père, toujours avide d'amour, s'approchât de sa mère et il le châtra avec la faucille qu'elle lui avait confiée. Des éclaboussures sanglantes qui rejaillirent sur elle, Gaia conçut les trois Érinyes, déesses de la vengeance, les Géants et les Nymphes méliennes. Quant aux parties d'Ouranos, à peine furent-elles « tranchées avec l'acier et jetées de la terre dans la mer au flux sans repos qu'elles furent emportées au large, longtemps ; et tout autour une blanche écume sortait du membre divin. De cette écume une fille se forma, [...] celle que les dieux aussi bien que les hommes appellent Aphrodite, pour s'être formée d'une écume » (ibid., 188-195).
C'est dans un monde de violence, la violence élémentaire, que nous introduisent Ouranos et sa progéniture. Il donne d'ailleurs à celle-ci le nom de Titans, faisant allusion à leur démesure : « À tendre (teinein) trop haut le bras, ils avaient, dit-il, commis dans leur folie un horrible forfait. » Dans une version postérieure toutefois, celle que rapporte Diodore de Sicile (Bibliothèque, III, 56), Ouranos aurait été le premier roi des Atlantes et c'est lui qui leur aurait enseigné les premiers rudiments de la civilisation, l'usage des fruits notamment et leur conservation. Il aurait inventé, d'autre part, le premier calendrier d'après l'observation des astres et prédit plusieurs événements. À sa mort, les peuples lui auraient décerné les honneurs divins, allant jusqu'à l'appeler « roi éternel de toutes choses » et à l'identifier au ciel. Mais cette version est certainement tardive et l'influence de l'évhémérisme y est manifeste. Hésiode est plus proche de l'origine, qui peint un souverain excessif et violent, dénué de tout sentiment paternel, tout entier caractérisé par sa puissance virile aveugle et bestiale. C'est pourquoi, de même que la plupart des dieux ouraniens dans les autres mythologies, il sera vite effacé (sa castration en est le symbole) au profit de divinités plus humaines, si l'on ose dire, en tout cas moins lointaines dans leur éloignement même, et ne jouera à peu près aucun rôle dans les mythes helléniques. De même que le dieu indien qui porte le même nom que lui, Varuna, Ouranos (cf. Georges Dumézil, Ouranos-Varuna, 1934) est le dieu tyrannique par excellence, qui règne sans avoir besoin de combattre, qui enchaîne ses ennemis et dont on peut avoir raison par la ruse seule ; dieu sans culte, car seules méritent d'être célébrées les forces de l'esprit et de l'art, forces de la culture précisément, toujours liée à[...]
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Écrit par
- Robert DAVREU : enseignant en littérature générale et comparée à l'université de Paris-VIII, poète et traducteur
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