OURS BRUN EN EUROPE
L’ours en France : un cas de géopolitique locale
La situation de l'ours brun dans les Pyrénées fait partie des dossiers emblématiques de la protection de l'environnement et des résistances qu'elle soulève. En 1967, la création dans la douleur du parc national des Pyrénées est associée à un quiproquo. L'espace protégé est présenté comme un sanctuaire pour les derniers ours pyrénéens autochtones alors que la majorité de leurs sites vitaux (tanières, zones de nourrissage et de reproduction) sont situés à l'extérieur de la zone centrale – le cœur du parc étant le seul espace véritablement protégé. Par ailleurs, les gestionnaires de ce parc national ne sont pas à l'abri de critiques et de confrontations trouvant particulièrement leur source dans les aménagements de pistes sylvo-pastorales. En effet, à partir des années 1970, les services du ministère de l'Agriculture et l'Office national des forêts (ONF) encouragent le développement de ces pistes qui facilitent la desserte des estives et l'exploitation forestière en cours d’industrialisation, mais qui constituent autant d'axes pénétrants ouvrant le milieu à des perturbations régulières de la faune sauvage par les usagers. L'opposition des associations de protection de la nature locales et nationales soutenues par le jeune ministère de l'Environnement est donc vive. Dans les années 1980, les premiers plans de sauvegarde de l'ours sont donc échafaudés alors qu’un antagonisme fort se manifeste jusqu’au sein de l’État (Agriculture contre Environnement), contrairement à l'image simpliste d’un conflit ouvert entre, d’une part, des écologistes soutenus par l’État et, d’autre part, des habitants ruraux et des éleveurs qui seraient hostiles à l'ours. Cette vision est tenace car, à partir de 1990, les administrations agricoles centrales vont encourager la décentralisation des aménagements pastoraux en montagne béarnaise et soutenir chasseurs et élus locaux dans leur opposition aux mesures territoriales de protection des milieux nécessaires aux ours. Cette opposition est finalement normalisée par la création en 1994 de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB) qui consacre l'abandon par les pouvoirs publics d'une protection territoriale efficace des ours. Malgré un discours gestionnaire en apparence ouvert à la protection de l’espèce, cette institution va verrouiller toute action permettant le sauvetage de l'ours, ne faisant qu'accompagner le déclin inévitable des derniers ours autochtones, incarné par l'abattage « accidentel » de la dernière ourse de souche pyrénéenne en 2004. Au début des années 1990, les protecteurs de l'ours réagissent stratégiquement face à cette situation en encourageant l'initiative de réintroduction des ours dans les Pyrénées centrales (Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées, Ariège), là où les élus locaux et les chasseurs paraissent plus favorables à des lâchers. L'association Artus, relayée ensuite par Pays de l'ours-ADET (Association pour le développement économique et touristique), est à l'origine des premières réintroductions d'ours brun en provenance de Slovénie en 1996 (deux femelles) et 1997 (un mâle). Malgré l'existence de certaines oppositions venant du monde agricole, c'est encore dans les Pyrénées centrales que cinq nouveaux ours sont lâchés en 2006. En 2017, trente-neuf ours sont recensés dans les Pyrénées, le foyer le plus important de population étant désormais localisé au centre-est des Pyrénées et non plus à l’ouest, dans le Béarn.
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Écrit par
- Farid BENHAMMOU : géographe, chercheur associé au laboratoire Ruralités de l'université de Poitiers, enseignant en classes préparatoires aux grandes écoles
- Jean-Pierre RAFFIN : docteur ès sciences, retraité de l'enseignement supérieur
Classification
Médias