SEMBÈNE OUSMANE (1923-2007)
Autodidacte, Ousmane Sembène se fait connaître d'abord comme romancier dans les années 1950. Mais, constatant le faible impact de la littérature d'expression française sur le continent noir, il choisit le cinéma pour être mieux compris de ses compatriotes. Il tourne donc le premier long-métrage africain, La Noire de... (1966) et en signera huit autres par la suite, pratiquant un réalisme social qui donne à réfléchir sur l'Histoire, le néocolonialisme ou les aléas de l'indépendance tout en voulant faire évoluer les situations archaïques. Usant de sa reconnaissance internationale, Ousmane Sembène va s'adresser avec son franc-parler aux politiques sénégalais et aux instances culturelles des pays occidentaux, décideurs financiers sans lesquels peu de ses films auraient pu être produits. Il aura incarné cinquante ans la voix des intellectuels, artistes et autres créateurs qui considéraient tous « l'aîné des anciens » comme une référence fondamentale, le « phare » du cinéma africain (selon les termes du metteur en scène et critique tunisien Ferid Boughedir).
Docker romancier et cinéaste
Né le 1er janvier 1923 à Ziguinchor (Gambie sénégalaise, Afrique-Occidentale française) d'un père pêcheur, Ousmane Sembène travaille dès 1937 comme mécanicien puis comme maçon. Mobilisé en 1942 dans l'infanterie coloniale, il se bat en Afrique, puis en Europe quand la colonie devient gaulliste. En 1948, il s'embarque clandestinement pour la France, devient docker pendant dix ans à Marseille, adhère à la C.G.T. et au Parti communiste dont il suit les cours. Responsable syndical, il participe à la grève qui bloque durant trois mois les envois d'armes destinées à la guerre d'Indochine. Parallèlement, il s'intéresse à la littérature négro-africaine. Ainsi son premier roman, Le Docker noir (1956) sera-t-il basé sur ses propres expériences d'immigré. Il voyage (Danemark, U.R.S.S., Chine, Vietnam) et publie deux autres romans : Ô Pays, mon beau peuple (1957), qui raconte comment un vétéran, revenu dans son village, y introduit des méthodes modernes et communautaires), et Les Bouts de bois de Dieu (1960, situé pendant la grève des cheminots du Dakar-Niger). À ce moment-là, il fréquente à Paris les milieux littéraires de gauche et rencontre aussi les écrivains noirs.
Par la suite, Sembène revient en Afrique pour parcourir les pays francophones. S'apercevant que ses livres ne sont pas lus puisque 80 p. 100 des Sénégalais parlent Ouolof, il décide de se tourner plutôt vers le cinéma tout en continuant à écrire. D'entrée, il veut tourner des films politiques, polémiques et populaires. Après un stage au V.G.I.K. de Moscou où il travaille un temps avec Mark Donskoï et Sergueï Guerassimov, il s'immerge dans les quartiers pauvres de Dakar où il tourne avec peu de moyens, dans un style néoréaliste, une courte fiction documentaire, Borom Sarret (un malheureux charretier se voit confisquer cheval et charrette parce qu'il a franchi la limite du quartier des riches à Dakar). Ce film remporte le prix de la première œuvre au festival de Tours (1963). Bien que le Sénégalais P. S. Vieyra, après ses études de cinéma à l'I.D.H.E.C., ait déjà tourné en 1955 Afrique-sur-Seine, qui décrit la communauté noire de Paris, Borom Sarret sera considéré comme le premier exemple de cinéma authentiquement africain. Celui-ci naît en effet au début des années 1960, en même temps que les pays noirs accèdent à l'indépendance. Auparavant n'existait qu'un cinéma colonial puis, après la Seconde Guerre mondiale, un cinéma ethnographique fondé par Jean Rouch mais auquel, justement, Ousmane Sembène reprochera au cours d'une confrontation fameuse (réalisée par A. Cervoni, France Nouvelle no 1033, 4 août 1965) de regarder les Africains « comme des insectes ».[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
Classification
Média
Autres références
-
AFRICAINS CINÉMAS
- Écrit par Jean-Louis COMOLLI
- 1 131 mots
L'histoire des cinémas africains se sépare difficilement de celle de la décolonisation. Il y eut d'abord des films de Blancs tournés en Afrique. Puis, à partir des années soixante, les nouveaux États africains ont été confrontés au problème de savoir quel rôle, quelle orientation, quels...
-
AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures
- Écrit par Jean DERIVE , Jean-Louis JOUBERT et Michel LABAN
- 16 566 mots
- 2 médias
...la vie d'une petite ville coloniale en les faisant raconter par le journal intime du domestique du commandant (Une vie de boy, 1956). Le Sénégalais Sembène Ousmane se réclame du réalisme à la Zola pour narrer, dans Les Bouts de bois de Dieu (1960), la grève des cheminots du Dakar-Niger en 1947-1948,... -
ANTHROPOLOGIE VISUELLE
- Écrit par Damien MOTTIER
- 4 464 mots
...cependant fait l’objet de controverses. Les critiques les plus virulentes sont venues de Paulin Vieyra, à propos du film Les Maîtres fous (1954), et d’Ousmane Sembène, regrettant qu’il filme les Africains comme un entomologiste observe les insectes, ou encore du Brésilien Glaúber Rocha, l’accusant de...