OZU YASUJIRO (1903-1963)
Ozu et le drame contemporain
Dans les très nombreux drames contemporains d'Ozu tournés à la fin des années 1920 et au début des années 1930, le modèle américain est omniprésent. Rêve de jeunesse, Femme perdue, Un couple déménage, La Citrouille ou Body Beautiful sont des comédies de mœurs à la Lubitsch. Jours de jeunesse (1929) est une comédie universitaire, influencée par Harold Loyd. Elle témoigne des recherches et des expérimentations techniques d'Ozu, qui vont alors dans le sens de la mobilité, de la fluidité, du jeu d'identification du spectateur avec l'acteur : la caméra va jusqu'à être entraînée dans la chute à ski d'un personnage et nous en fait ainsi partager les émotions. Dans Marchez joyeusement de 1930 et Femmes au combat de 1933, les personnages, les décors des films de gangsters américains sont fidèlement recréés ; ceux du film noir le sont dans L'Épouse de la nuit (1930) et Femme de Tōkyō (1933). Dès 1930, Ozu fut reconnu par la critique et son film Jeune Demoiselle, typique de cette époque, obtint le premier prix de la revue Kinema jumpo.
Cependant, parallèlement à cette influence thématique et technique que viennent attester les nombreuses citations de films occidentaux sous forme d'affiches faisant partie du décor ou sous forme de scènes de film auquel assistent les personnages d'Ozu (cf. Femme de Tōkyō), une autre tendance se dessine chez lui avec ses shomin-geki.
Le shomin-geki (drames des gens du commun) met en scène le petit peuple de la ville moderne, avec, en arrière-fond dans ces années, la crise économique internationale. Comme tout le cinéma japonais de cette époque, celui d'Ozu glisse peu à peu de la comédie au réalisme social avec J'ai été diplômé, mais... (1929), La Vie d'un employé de bureau (1929), Le Chœur de Tōkyō (1931). Plus ancré dans la réalité japonaise, moins artificiel, ce genre très codé permettra à Ozu de mettre en place, à partir des pratiques techniques qui y sont liées, un cinéma se démarquant radicalement des pratiques occidentales. Ainsi, à partir de Chœur de Tōkyō, où cependant les références au cinéma occidental (notamment à La Foule de King Vidor) sont clairement lisibles, il commence à utiliser, dans les intérieurs japonais où l'on vit sur les tatamis, la position basse de la caméra, comme le faisaient tous les réalisateurs du genre : Shimizu Hiroshi, Yamanaka Sadao, Naruse Mikio... Avec Gosses de Tōkyō (1932), l'utilisation de cette position devient systématique, même en extérieur ; la hauteur du regard des deux petits héros parvient encore à la justifier, justification qui disparaîtra plus tard. Dans ce film, un ensemble de règles, de tendances futures semble se mettre en place, tels le refus du fondu, le recours au simple « montage-cut » ; et, si la caméra est encore très mobile, les travellings latéraux couplés qui abondent tendent à se neutraliser. Le jeu avec l'arbitraire de la mise en scène apparaît là aussi, avec le fameux travelling qui, prenant un à un les salariés en flagrant délit de bâillement, revient sur ses rails comme pour inviter le seul personnage à ne pas l'avoir fait ... à bâiller. Cette mise à découvert du dispositif cinématographique, l'utilisation sans complexe de faux raccords de regards dans Femme de Tōkyō nuisant à l'identification du spectateur à l'acteur, l'utilisation de plans sans personnages (paysages, intérieurs, objets), dont le rapport au récit ne se fait pas toujours de façon linéaire, éloignent Ozu du cinéma classique occidental, qui tend au contraire à masquer le dispositif pour créer l'illusion, à fluidifier les mouvements, à lubrifier, en quelque sorte, les articulations du récit filmique.
À partir de 1935, avec Une auberge à Tōkyō – qui a pour thème le chômage –, l'errance, la nostalgie viennent de[...]
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Écrit par
- Josiane PINON : maîtrise de droit, université de Paris-I, licenciée de japonais, Institut national des langues et civilisations orientales
Classification
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