LARRAÍN PABLO (1976- )
Bien que plus jeune qu’Alejandro Jodorowsky et Raúl Ruiz, Pablo Larraín, originaire de Santiago, est devenu en sept longs-métrages le plus célèbre des cinéastes chiliens. Né le 19 août 1976 à Santiago du Chili, il est le fils du sénateur Hernán Larraín et de Magdalena Matte, ministre de l’Urbanisme (2010-2011) dans le gouvernement du président de la République de centre-droit Sebastián Piñera. Il s’est formé à son futur métier de cinéaste en étudiant à l’université des arts, sciences et communication de Santiago. Sa filmographie montre un intérêt majeur pour l’histoire politique récente de son pays. Elle interroge les conflits de générations et de classes, ainsi que les limites de la morale individuelle.
Chroniques du coup d’État
Trois de ses films ont pour contexte la dictature militaire du général Augusto Pinochet, qui s’exerça du 11 septembre 1973, après son coup d’État contre le président Salvador Allende, jusqu’à son départ le 11 mars 1990, à la suite de sa défaite lors du référendum révocatoire du 5 octobre 1988.
Santiago 73, post mortem (Post mortem, 2010) débute précisément quelques jours avant le coup d’État militaire dans la capitale chilienne. Le film décrit, à travers un groupe de médecins légistes, le carnage perpétré au sein de la population civile. Pablo Larraín ne filme pas les exactions, mais opère une suite de détours pour mieux inscrire dans le hors-champ l’ampleur de la répression en cours. On y voit les corps s’entasser et joncher le sol de la morgue. Leur poids et leur nombre donnent le sentiment que le Chili ne se relèvera pas de cette tragédie, voué qu’il est à une pulsion d’extermination dont les militaires refusent de prononcer le nom et les actes. Ce silence assourdissant devient bouleversant lorsque les légistes doivent identifier le corps du président Allende, la boîte crânienne explosée. Sandra (Amparo Noguera) et le docteur Castillo (Jaime Vadell) refusent par dignité d’autopsier le corps du chef de l’État afin d’échapper à cette souillure généralisée. On retrouve cette dernière sensation dans Jackie (2016), lorsque l’épouse (Natalie Portman) de John Fitzgerald Kennedy se nettoie sous la douche des morceaux de la cervelle éclatée de son mari assassiné. Elle n’aura de cesse de « laver » et d’honorer la mémoire de son époux lors de l’organisation des obsèques nationales.
Tony Manero (2008) se déroule à Santiago à la fin des années 1970, alors que La Fièvre du samedi soir (Saturday Night Fever, 1977) de John Badham vient de hisser John Travolta au rang de star planétaire, faisant du rôle-titre un prototype de nouveau séducteur issu d’un milieu modeste. S’identifiant au personnage vedette tout en étant trop vieux pour l’interpréter, Raúl (Alfredo Castro) ignore avec cynisme la résistance politique de la pauvre troupe de danseurs qu’il dirige et lui préfère la célébrité factice d’un concours télévisé de sosies. Du pain et des jeux donc, plutôt qu’un intérêt quelconque pour une transformation démocratique de la dictature. Dans No (2012), lors de la préparation de la campagne du référendum de 1988, René (Gael García Bernal) doit choisir, en tant que publicitaire, entre le camp du « oui », qui soutient Pinochet, et celui du « non », qui souhaite un renouveau démocratique de gauche. Est-il prêt à perdre le train de vie que lui a procuré la dictature ? Prenant la forme de l’image télévisuelle typique de la fin des années 1980, No plonge le spectateur au cœur des compromis des appareils politiques et de leur communication. Enfin, le biopic imaginaire qu’est Neruda (2016) déploie en 1948, au cours de la traque du poète et sénateur communiste (Luis Gnecco) poursuivi par le président Videla (Alfredo Castro) et son directeur de la police Peluchonneau (Gael García Bernal), les contradictions qui existent entre les[...]
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Écrit par
- Pierre EISENREICH
: critique de cinéma, membre du comité de rédaction de la revue
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Média