PICASSO PABLO (1881-1973)
Face aux violences de l’histoire
Déchiré par la guerre civile espagnole, Picasso grave en janvier 1937 Sueño y mentira de Franco (Songe et mensonge de Franco), une série inachevée de scènes dans un style expressionniste et tragique. Surtout, il réagit au bombardement par l’aviation allemande de Guernica (Pays basque), qui cause 1 654 morts et 800 blessés en un après-midi, le 26 avril 1937. Pour le pavillon de la République espagnole à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris, en 1937, le peintre compose l’immense toile de Guernica (Museo nacional Centro de arte Reina Sofia, Madrid), qui condense en noir, blanc et gris la violence de la guerre et les souffrances des victimes civiles. Picasso mêle à l’histoire contemporaine certains grands thèmes desespériodes précédentes comme le Minotaure et la corrida, et s’oriente à partir de cette époque vers des toiles extrêmement douloureuses. Avec la Femme qui pleure, 1937 (Tate Modern, Londres), il mêle au tumulte de l’histoire et aux angoisses de l’époque sa vie personnelle, violente elle aussi, les difficultés de sa liaison avec Dora Maar, qu’il portraiture dans Femme se coiffant (juin 1940, Museum of Modern Art, New York), dernier tableau peint avant leur séparation. En cette même année 1940, Picasso dépose, pour se protéger des violences de l’histoire qu’il voit poindre, une demande de naturalisation auprès de l’État français, qui lui est refusée au motif qu’il est un « communiste (…) suspect au point de vue national » (rapport de police, 19 mai 1940). Durant les années de l’Occupation, qui sont pour lui des années de grande peur, Picasso se terre à Paris et réalise dans son atelier de la rue des Grands-Augustins des œuvres marquées par l’ambiance mortifère, des sculptures fragiles sur papier – Tête de mort (1943, papier déchiré griffé, musée Picasso, Paris) ou Nature morte au crâne de bœuf (1942, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf), grande toile tragique en hommage à son ami le sculpteur Julio González récemment décédé. Mais Picasso ne se laisse jamais submerger par le désespoir. De manière symptomatique, sa sculpture L’Homme au mouton (1943, musée Picasso, Paris), qui condense les souffrances de ces années d’Occupation, sera comprise après la guerre comme une image du bon pasteur, porteur de paix, et dont un exemplaire sera installé sur une place de Vallauris (Alpes-Maritimes).
À la fin de l’année 1944, Picasso s’inscrit officiellement au « parti des 75 000 fusillés », le Parti communiste, et produit dans cette veine politique quelques tableaux militants, sans se plier jamais, cependant, à l’esthétique du réalisme socialiste prônée par l’URSS. Le Charnier (1945, The Museum of Modern Art, New York) dénonce l’horreur des violences perpétrées durant les guerres, tandis que Massacre en Corée (1951, musée Picasso, Paris) prend résolument parti contre les États-Unis engagés dans la guerre de Corée depuis 1950. Ces deux œuvres s’inscrivent dans l’ambition du peintre de renouer avec la grande tradition de la peinture d’histoire. Dans un esprit plus apaisé, Picasso compose à la même période les deux panneaux de La Guerre et la Paix, qu’il réunit en 1952 dans une chapelle désacralisée de Vallauris transformée en un « lieu païen consacré au seul culte qui devrait unir tous les hommes ». Ce Temple de la paix, devenu aujourd’hui musée national, se pose en rival esthétique de la chapelle du Rosaire à Vence (1940-1951), chef-d’œuvre de Matisse emblématique du renouveau de l’art catholique des années de reconstruction. Avec ce type de réalisation, comme avec la Colombe de la paix, dessinée en 1949pour le premier Congrès mondial des partisans de la paix à Paris, Picasso assume en France une gloire nationale et internationale, en ayant personnellement le statut, accordé[...]
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Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
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