PAGAN
Un microcosme
On ne verra pas davantage dans les temples de Pagan la seule marque de la royauté. Nous connaissons mal l'organisation sociale ; on distingue seulement, au sommet, une hiérarchie de chefs guerriers qui reçoivent du souverain des terres – les plus riches : les rizières irriguées – en échange des contingents qu'ils doivent lever. Comme le roi, chacun, dans son cercle, accumule les mérites par des fondations pieuses qu'il redistribue. Les Birmans, très démocratiquement organisés en villages dirigés par un chef héréditaire, sont en fait possesseurs de la terre. Chaque village entretient un monastère. On ne peut, non plus, parler de théocratie. L'ordre politique, par ses entreprises guerrières, est en contradiction radicale avec le bouddhisme, qui ne le sanctionne toutefois nullement. Si le roi fut sacralisé, ce fut par des brahmanes, et Pagan possède des temples et des statues hindouistes. Les villageois, eux, adressent surtout leur culte aux Nats, les génies chthoniens primitifs. Le bouddhisme n'est donc pas une religion sacralisant ou sanctionnant l'ordre social. Le champ de rencontre entre les deux systèmes est l'enseignement, que les jeunes hommes reçoivent au monastère. En retour, le roi et les paysans acquièrent des mérites en nourrissant les moines. Mais l'entrée dans la vie monacale est un choix purement individuel. Ne cherchons donc pas, à Pagan, des évêques et des prêtres dans l'entourage du roi et des comtes. Songeons plutôt au rôle des grands ordres réguliers du Moyen Âge comme Cluny et Cîteaux, et rapprochons plutôt l'influence des prêtres bouddhistes sur le roi, dans certaines entreprises « pour la foi », de celle des moines occidentaux prêchant les croisades.
Ainsi peuvent se comprendre les raisons de l'épanouissement de Pagan, et son rôle primordial. C'est la capitale, avec ses fonctions politique, enseignante, religieuse, économique, en un mot son rôle « normatif ». C'est là qu'est établi le calendrier, et qu'Alaungsithu codifie les poids et les mesures. Ce même roi, puis Narapatisithu font rédiger les grands codes juridiques, de même que les grammaires normatives. Parallèlement, Pagan est un monde en soi et qui ne peut être réduit à une démultiplication du pays. Le roi est l'image sur terre d'Indra, roi des dieux : sa ville est une cité céleste, qui résume et protège le pays, un microcosme au sens plein. C'est par cette rencontre, exceptionnelle, de races et d'idées, que la ville formera la Birmanie et son art, et réussira à fédérer un État multinational. Car Pagan a survécu à ses rois. Des temples y seront bâtis jusqu'au xive siècle, des fresques ajoutées sur ses murs jusqu'au xviiie siècle. Elle restera, jusqu'au xve siècle, le foyer littéraire de la Birmanie. Elle sanctionnera longtemps le pouvoir royal : Tabinshweti, fondateur de la nouvelle puissance d'Ava, viendra s'y faire couronner ostensiblement en 1546, et enrichira le Shwezigon, comme ses successeurs, jusqu'en 1768 ; c'était là, d'ailleurs, le stūpa le plus vénéré du pays. L'art de Pagan a codifié tous les styles postérieurs. Il sera imité dans les pays thaï, au Siam, au Laos, et même au Cambodge post-angkorien. Ses moines, en effet, après avoir été formés par Ceylan, maintiendront l'orthodoxie, et Pagan se substituera en grande partie à l'île sainte. Ses monuments n'atteignent sans doute pas la perfection angkorienne, mais ils auront une grande descendance, tandis que la capitale khmère sombrera dans la forêt.
Endommagés par un séisme le 8 juillet 1975, les monuments de Pagan sont graduellement restaurés et renforcés par le Department of Archaeology de Birmanie, aidé depuis 1981 par des spécialistes de plusieurs pays dans le cadre d'un programme international financé par les Nations unies[...]
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Écrit par
- Bernard Philippe GROSLIER : directeur de recherche au C.N.R.S.
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