VÉNITIENS PALAIS
Dans les dernières années du xve siècle — en 1495 — « la plus belle rue qui soit au monde et la mieux maisonnée » était, pour Philippe de Commynes, le Grand Canal de Venise. Aujourd'hui encore, malgré l'usure du temps et les réfections abusives, on comprend, en suivant cette « rue » au fil de l'eau, l'admiration éblouie du chroniqueur français.
Le premier palais des Doges, construit en 814, était, pense-t-on, flanqué de tours et entouré de fossés. Mais, dès que s'affirme l'indépendance politique de la cité et sa domination sur l'Adriatique, les ouvrages défensifs font place aux éléments décoratifs, les murailles s'ouvrent en loggias et en portiques, les créneaux deviennent des dentelles de pierre. L'édifice qui accueille en 1116 l'empereur Henri V, puis, en 1177, Frédéric Barberousse n'est plus une forteresse mais bien un palais.
La configuration type de la demeure vénitienne s'élabore dans le même temps. Ce n'est ni un château ni une maison fortifiée comme dans les autres villes d'Italie. La forme oligarchique du gouvernement rend sans objet les rivalités belliqueuses pour la conquête du pouvoir tandis que l'activité commerciale et le trafic maritime imposent une formule architecturale « ouverte », sur le canal, sur l'Adriatique : la demeure patricienne est aussi un entrepôt (fondaco). Le portique en est l'élément essentiel et, par là, elle tient finalement son origine de la villa antique. Les tours, lorsqu'elles existent, interviennent seulement comme élément de rythme et d'ornement : il n'en subsiste bientôt qu'un reflet, une « projection plane » dans les travées latérales relativement fermées de la façade, entre lesquelles s'insère le corps central ajouré par les arcatures du portique et des loggias superposées. Ainsi se définit l'ordonnance tripartite du palais vénitien, que l'on retrouve, de siècle en siècle, sous-jacente à l'évolution des styles.
La configuration même du sol, fragmenté en îlots, ne permettant pas le déploiement du vaste cortile à la toscane, l'activité économique essentiellement maritime, enfin le goût, emprunté à Byzance, pour les revêtements colorés, les ornements gratuits, tout concourt à faire de la façade l'élément le plus expressif de l'édifice. Elle s'intègre à une harmonie « extérieure », celle du canal ou de la place. Il y a là une orientation essentiellement picturale qui prendra des formes diverses selon les époques mais qui constitue un trait permanent de l'architecture vénitienne et participe à la séduction, toujours renouvelée, de son paysage urbain.
Malgré les restaurations draconiennes dont il a fait l'objet, le Fondaco dei Turchi, qui fut, au xiiie siècle, le palais Pesaro, illustre clairement ce type d'habitation ouverte sur le canal, entre deux éléments « pleins » évoquant les tours, et rend compte de ce qu'elle doit à Byzance, avec ses arcs outrepassés et le profil purement ornemental de ses « créneaux ». Mais c'est avec le gothique fleuri que la formule trouve son expression la plus heureuse. Sur les schémas désormais bien fixés, l'invention, la fantaisie, la sensibilité chromatique des artisans vénitiens se déploient dans les sculptures délicates des couronnements et des loggias polylobées, les incrustations de couleurs (pierre blanche d'Istrie, pierre rouge de Vérone, porphyre et marbres) reflétées dans l'eau du canal : le chef-d'œuvre de cet art précieux et raffiné est réalisé, entre 1421 et 1440, par Matteo Raverti, Giovanni et Bartolomeo Bon à la Ca'd'Oro (dont la partie gauche n'a pas été construite). Mais il en subsiste d'autres beaux exemples avec les palais Contarini-Fasan, Loredan, Pisani-Moretta, Foscari, sur le Grand Canal, les palais Bernardo et Soranzo à San Polo, Contarini et Falier à San Samuele.[...]
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Écrit par
- Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE : critique d'art
Classification
Médias
Autres références
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CODUSSI MAURO (1440-1504)
- Écrit par Catherine CHAGNEAU
- 115 mots
Originaire de Bergame, Mauro Codussi fut l'un des premiers architectes de la Renaissance vénitienne. Dès la construction de San Michele in Isola (1468), il proposa une interprétation cohérente des principes albertiens qu'il développa à San Zaccharia (1480), à Santa Maria Formosa (1492) et...