PALÉODIÉTÉTIQUE ET CUISINE GÉNÉTIQUE
Une hypothèse séduisante mais difficile à prouver
Dans la logique de la sélection darwinienne, on admet, par exemple, que le patrimoine génétique humain a été façonné en partie par les maladies infectieuses, ou épidémiques, comme la peste, endémiques, comme les infections par les vers. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour les produits des gènes qui permettent l'assimilation des substances nutritives ? On connaît déjà de nombreuses spécialisations alimentaires chez les animaux, pourquoi les primates feraient-ils exception ?
L'intérêt principal de cette théorie est, selon S. Boyd Eaton, l'un des chercheurs les plus actifs dans ce domaine, qu'elle fournit une hypothèse unificatrice à la recherche sur la nutrition. Son inconvénient principal est qu'elle est presque impossible à prouver : une expérimentation contrôlée sur l'alimentation humaine pendant une dizaine d'années au moins est essentiellement impossible à mener. Des expériences de courte durée, sur deux ans environ, suggèrent cependant que l'alimentation paléolithique serait bénéfique sur le plan de la santé. La validité épidémiologique de ces travaux reste incertaine. Devant cette difficulté, les diététiciens se sont tournés, pour tenter de vérifier l'hypothèse, vers les maladies de populations actuelles ayant une alimentation proche de ce que l'on estime avoir été l'alimentation paléolithique, et n'ayant pas subi d'influence occidentale trop marquée. Une première étude, menée en 1993 par des Suédois (étude dite de l'île Kitava) sur des habitants d'une île isolée de Papouasie, montre l'absence d'infarctus du myocarde, de diabète, d'hypertension et d'obésité. Ces pathologies augmentent en fréquence et en gravité quand des populations d'îles voisines adoptent une alimentation (et un style de vie) occidentalisé. En 2010, des compléments à ces travaux compilent un plus grand nombre d'observations allant dans le même sens positif. Il y aurait ainsi convergence entre des études de nutrition au cas par cas (rôle du cholestérol, des acides gras insaturés...) et ces études plus globales. La conclusion paraît claire : l'alimentation actuelle est déséquilibrée et ce déséquilibre contribue à de nombreuses maladies. La solution passe donc par l'adoption de styles alimentaires plus satisfaisants.
Cela signifie-t-il pour autant que l'hypothèse génétique soit prouvée et que le détour par la cuisine paléolithique soit fondé ? A-t-on besoin même de cette hypothèse, le changement dans les pratiques alimentaires ne suffit-il pas à expliquer la situation ? Le débat à ce sujet ne concerne pas le bien-fondé de revenir à un agroalimentaire plus sain. Il porte sur la confrontation entre l'hypothèse paléo-diététo-génétique et les données des préhistoriens et des anthropologues.
Le premier postulat de la paléodiététique est que l'homme paléolithique était en meilleure condition physique que l'homme néolithique. Pourtant, la seule lecture du rapport de Cabeza de Vaca, intitulé Relacion et paru en 1542, avait montré que les chasseurs-cueilleurs des actuelles Virginie et Floride menaient une existence misérable et brève, tandis que les Amérindiens de l'actuel État d'Arizona, sédentarisés et cultivant le maïs, étaient nombreux et en bonne santé... L'idéalisation de l'état de santé des hommes paléolithiques ne tient pas vraiment devant les études de leurs ossements et de leurs dents, qui révèlent des signes de carences et de maladies. La dégénérescence physique attribuée aux hommes néolithiques sédentarisés n'est pas non plus vérifiée par l'étude des squelettes, encore que l'on observe peut être davantage de caries dentaires. Au contraire, l'augmentation rapide de la population sédentarisée va plutôt dans le sens d'un meilleur état[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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Médias