PALÉOGÉNOMIQUE
Limites d’interprétation des données de paléogénétique
En dépit de tous ses progrès, la paléogénétique demeure dépendante de la préservation d’ADN dans les matrices biologiques fossiles ou dans leur environnement minéral. À ce jour, le plus ancien ADN authentifié provient d’une dent de mammouth datant de plus de 1,3 million d’années (van der Valk et al., 2021). Cet âge est deux fois plus ancien que le record précédent attribué à celui d’un spécimen de cheval. Dans les deux cas, ces découvertes sont associées à des restes squelettiques issus du pergélisol arctique. Ce sol constamment gelé depuis des centaines de milliers d’années fournit en effet des conditions particulièrement favorables en ralentissant à l’extrême la dégradation post mortem de l’ADN. Cependant, les plus anciens pergélisols connus ne dépassent pas les 2,5 millions d’années, bornant donc a priori l’âge maximal des ADN anciens. En dehors du pergélisol, les conditions de conservation les plus favorables paraissent être offertes par les grottes sèches : des données génétiques de restes humains datés de plus de 400 000 ans en provenance du site d’Atapuerca en Espagne ont ainsi été publiées en 2014, les rapprochant de celles des Néandertaliens (Meyer et al.). Néanmoins, pergélisol et grottes sèches constituent des environnements très singuliers à l’échelle du globe. En dehors de ces conditions très particulières, la préservation de l’ADN au-delà de quelques dizaines de milliers d’années demeure rare. La fenêtre de temps que la paléogénétique nous permet d’ouvrir dans le passé est donc très limitée au regard de l’ancienneté du vivant sur notre planète.
Cette fenêtre temporelle permet toutefois de documenter largement l’histoire évolutive des hominiens, en particulier depuis l’exode hors d’Afrique des prédécesseurs des humains modernes au cours du dernier million d’années. Il est important de manipuler les résultats de ces recherches avec discernement afin de se préserver de tout essentialisme biologique, qui a tôt fait de nourrir une vision racialiste infondée de la diversité humaine et les idéologies qui en découlent (Mary, 2018).
Les progrès dans notre compréhension du fonctionnement et de l’évolution des organismes ne cessent de souligner l’importance du génome comme patron qui définit, certes, les « possibles » biologiques d’un individu, mais ne suffit pas à les caractériser. Les développements en épigénétique mettent ainsi en avant l’importance des interactions du génome avec son environnement (embryonnaire, puis cellulaire ou général) dans la réalisation de tout organisme. Or, si certaines signatures épigénétiques – en particulier les méthylations de cytosines qui caractérisent le niveau d’activation de certaines régions contrôlant l’expression des gènes – peuvent laisser une trace détectable dans les génomes anciens, leur grande majorité est perdue au cours de la dégradation post mortem. Ainsi, la réalité du fonctionnement du génome demeure très largement inaccessible aux outils actuels de la paléogénétique, ce qui ouvre à la prudence quant au sens que l’on peut donner à certaines mutations entre lignées humaines affectant des régions de l’ADN impliquées dans des processus cognitifs ou langagiers. Une mutation affectant un seul acide aminé d’une protéine impliquée dans la genèse des neurones du néocortex est aujourd’hui suspectée par certains auteurs d’être responsable de l’avantage sélectif des humains modernes à l’égard des Néandertaliens qui aurait conduit les premiers à supplanter les seconds (Pinson et al., 2022). Ce type d’hypothèse, visant à singulariser à partir de telle ou telle mutation individuelle une cause purement génétique à un phénotype, peut conduire à des représentations caricaturales du fonctionnement cellulaire. Celui-ci[...]
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Écrit par
- Régis DEBRUYNE : ingénieur de recherche en paléogénétique au Muséum national d'histoire naturelle (Paris), spécialiste de l'histoire évolutionnaire de la famille des éléphantidés
Classification
Médias