PALUDISME À PLASMODIUM KNOWLESI
Les réservoirs et leur évolution possible
L’agent infectieux a été vu chez le singe dès 1928 et son cycle parfaitement décrit en 1932. Son réservoir naturel est le macaque crabier (Macacafascicularis) et un petit nombre d’autres espèces chez lesquelles il provoque une infection bénigne ; il peut aussi infecter Macacamulatta chez lequel il déclenche souvent une infection fulgurante.
Comme pour les autres paludismes, il existe un moustique vecteur ou plutôt plusieurs espèces d’ anophèles vecteurs, de distribution variable selon les aires géographiques. Ces anophèles peuvent différer également par leur préférence plus ou moins grande pour le sang du singe ou pour le sang de l’homme. Certains ne piquent que les macaques ; d’autres piquent le singe et l’homme avec des préférences variables pour l’un ou pour l’autre ; d’autres enfin piquent surtout l’homme. Après la première démonstration formelle de la transmission P. knowlesi à l’homme par piqûre de moustique en 1971, la recherche s’est orientée vers l’étude de la répartition géographique des différents vecteurs, avec un accent mis sur les espèces vectrices communes à l’homme et au singe. Il s’agit en fait d’une étude critique pour tenter d’enrayer la propagation de la maladie car elle permet de ne traiter que les zones vraiment à risque. Enfin, la nature physique du paysage (chaînes de montagnes élevées, fragmentation en îles) a conduit tant les anophèles que les parasites à évoluer différemment selon les lieux. Cette complexité ajoute à la difficulté de l’analyse épidémiologique.
La distribution des vecteurs s’étend sur toute l’Asie du Sud-Est. La plupart d’entre eux n’hébergent pas P. knowlesi et ne sont donc pas infectants. Cependant, une fraction importante des moustiques est porteuse du parasite dans les zones où vivent les macaques. À l’intérieur de ces zones, on observe de nombreux cas de paludisme à P. knowlesi. Il s’agit invariablement de zones soumises à une déforestation active et possédant un peuplement rural important. En fait, les singes sont progressivement chassés de leur habitat sylvestre traditionnel par la déforestation. Ils ont tendance à chercher leur nourriture dans les zones cultivées, à proximité des humains qui y travaillent. La possibilité du passage animal-homme est donc fortement accrue, ce qui explique l’évolution quasi épidémique de la maladie.
Dans certaines zones (l’une d’entre elles, particulièrement étudiée, se situe dans la région de Danang au Vietnam), des anophèles vecteurs du P. knowlesi ont de l’affinité pour le sang humain. Ils sont en outre capables de transporter d’autres Plasmodium, comme P. vivax dont l’hôte unique est l’homme. Ces insectes sont donc susceptibles de construire une endémicité locale d’infection humaine à P. knowlesi dès qu’ils se seront infectés sur un macaque et auront transmis le parasite à l’homme.
À ce stade, il s’agit toujours d’une zoonose classique. Le paludisme à P. knowlesi le restera tant que les réservoirs humains infectés seront peu étendus. S'ils se développaient, les anophèles pourraient alors se nourrir surtout sur l’homme, favoriser une infection interhumaine sans passage par le singe. Cette situation autorisant une coévolution homme-parasite aboutirait à l’isolement d’une nouvelle espèce de P. knowlesi et/ou d’un vecteur, tous deux spécifiquement humains. La variabilité du plasmodium est connue. Quant au vecteur, il ne s’agit pas d’une pure hypothèse. Une étude publiée en octobre 2014 sur des populations d’Aedes, moustique vecteur de la dengue, du chikungunya et de la fièvre jaune, montre qu’une telle évolution vers la préférence exclusive envers le sang humain est liée à la mutation d’un récepteur des organes sensoriels du moustique qui accroît son affinité pour une molécule sécrétée par la peau humaine et augmente[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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Médias