PAN, Knut Hamsun Fiche de lecture
Une critique du monde moderne
Toute la richesse de l'inspiration de Hamsun est ici présente : d'abord la grande nature sauvage du nord de la Norvège, ses forêts mystérieuses, la qualité incomparable de sa lumière, un accord instinctif avec les grandes pulsions animales et telluriques. Ensuite, l'analyse, par touches légères, des élans du cœur et de ses intermittences : Glahn est amoureux de l'amour plus que de la femme, et ses efforts tendent à analyser la vie inconsciente de son âme. Tout est fait pour illustrer les douceurs incomparables de la passion mais aussi ses radicales cruautés, mort et amour étant ici, selon une optique très proche de la thématique romantique, indissociables. De la sorte, une satire feutrée mais radicale du monde moderne et de ses contraintes sociales, de ses affectations et de sa fausseté, dans une perspective rousseauiste qui récuse sans appel la prétendue civilisation, dicte les plus belles pages de ce livre qu'anime en outre un extraordinaire don de poésie.
S'y ajoute un univers de légende – le livre est en principe une variation sur le thème central d'une vieille ballade médiévale qui chante les impossibles amours de la belle Iselin. La leçon est la même : l'amour est à la fois magnétique et irrésistible, tragique parce qu'il brime, voire annihile, l'irrépressible besoin de liberté qui est la marque la plus profonde de l'homme.
Mais le prestige majeur de ce roman réside dans le personnage du lieutenant Glahn, nouvelle version du héros de Faim (1890) ou du Johan Nagel de Mystères (1892), qui vagabonde sur terre comme dans ses rêves, fascinant et repoussant, incapable de se fixer, perpétuellement réfugié dans un univers onirique, pitoyable à cause de l'échec inéluctable qu'entraîne sa lutte contre le Destin, et magnifique par sa maîtrise de la mort et du quotidien insipide. Le prodigieux pouvoir contagieux de ce personnage décidément hors du temps et du monde moderne tient aussi à sa voix de conteur inlassable, à ce ton spontanément accordé au plus subtil de l'être.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification