PANIQUE MORALE
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La notion de panique morale, développée depuis les années 1970, désigne originellement la crainte disproportionnée d’une société face à des pratiques sociales ou culturelles d’individus qu’elle juge déviants et qu’elle considère comme un péril pour sa sécurité, ses valeurs et (ou) son mode de vie. Même s’il n’est pas l’inventeur de l’expression, qu’il emprunte à Marshall McLuhan, le sociologue britannique Stanley Cohen (1942-2013) en fournit la première conceptualisation dans son ouvrage Folk Devils and Moral Panics, paru en 1972 (et réédité en 1980 et 2002 avec de nouvelles préfaces).
Déviance et panique morale chez Stanley Cohen
Sans vraiment définir la notion de panique morale, Cohen l’introduit ainsi dès 1972 : « Les sociétés semblent être sujettes, de temps à autre, à des périodes de panique morale. Une situation, un incident, une personne ou un groupe de personnes sont brusquement définis comme une menace pour les valeurs et les intérêts de la société ; ils sont décrits de manière stylisée et stéréotypée par les médias ; des rédacteurs en chef, des évêques, des hommes politiques et d’autres personnes bien-pensantes montent au créneau pour défendre les valeurs morales ; des experts reconnus émettent un diagnostic et des solutions ; les autorités développent de nouvelles mesures ou, plus fréquemment, se rabattent sur des mesures existantes ; ensuite la vague se résorbe et disparaît, ou au contraire prend de l’ampleur. » Il observe que l’un des types de panique morale les plus récurrents au Royaume-Uni depuis la Seconde Guerre mondiale concerne les réactions aux cultures de jeunes (de la classe ouvrière ou des étudiants), tels les Teddy Boys, les Hells Angels, les skinheads ou les hippies.
À partir d’une étude de cas, celle des mods et rockers, Cohen entreprend ainsi de saisir les conditions d’émergence et les effets de telles paniques morales en se situant explicitement dans le sillage des travaux interactionnistes d’Howard Becker (Outsiders, 1963) ou de Joseph Gusfield (Symbolic Crusade, 1963), qui ont souligné l’importance des processus d’étiquetage et des croisades morales dans la construction des phénomènes de déviance et celle des problèmes publics. Partant de l’hypothèse que ce n’est pas forcément la déviance qui mène au contrôle social mais que c’est aussi « le contrôle social [qui] conduit à la déviance », Cohen se demande comment les mods et rockers en sont venus à être perçus comme des figures maléfiques et à engendrer une panique morale. Son analyse insiste sur le rôle fondamental des médias dans la création de celle-ci et la diabolisation des jeunes.
Cette panique morale trouve son origine dans des bagarres entre quelques groupes d’adolescents survenues en 1964 dans la station balnéaire de Clacton sur la côte est de l’Angleterre . Cohen montre que la gravité de cet incident et sa nouveauté ont été largement amplifiées par les médias, qui en ont rendu compte de façon très sensationnelle en exagérant notamment le nombre de participants aux affrontements, les actes de violence et les dommages causés, au point de donner à tort l’image d’une émeute voire d’une ville assiégée et dévastée. Il révèle aussi que les bagarres n’étaient pas initialement polarisées autour d’une opposition entre mods et rockers – les groupes étaient davantage structurés sur des bases territoriales – mais que, perçus comme immoraux en raison notamment de leur style (vêtements, coiffure, etc.), ils ont été érigés en responsables des troubles. En somme, la panique est moins liée aux bagarres en tant que telles qu’à la manière dont sont jugés ces jeunes éloignés des normes et des valeurs des générations plus âgées. En effet, les mods et rockers apparaissent aussi menaçants, sinon plus, pour ce qu’ils représentent que pour ce qu’ils font. C’est en ce sens que la panique comporte une dimension[...]
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Écrit par
- Cédric PASSARD : maître de conférences en science politique à l’IEP de Lille
Média
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MORALE (sociologie)
- Écrit par Gérôme TRUC
- 1 332 mots
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...entrepreneurs de moral » parviennent à imposer leurs normes et valeurs à l’ensemble d’une société. C’est aussi dans cette perspective qu’est forgée la notion de « panique morale » (Stanley Cohen, Folk Devils and Moral Panics, 1972) pour rendre compte des réactions disproportionnées que peuvent déclencher...