PANIQUE MORALE
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Développements et limites du concept
Si Cohen insistait sur le rôle des médias dans la fabrication des paniques morales, d’autres explications ont été apportées. Dans une étude de 1978 consacrée aux réactions médiatiques et politiques à la violence de rue, en particulier à des agressions commises par de jeunes Noirs, Stuart Hall et ses collègues soulignent davantage le rôle de l’élite et de l’idéologie dominante que ne feraient que relayer et soutenir les médias. Certains travaux ont pu montrer que des paniques morales étaient construites intentionnellement par des groupes d’intérêts avec une visée politique ou commerciale (comme dans le cas de la musique à destination d’un public jeune). Dans une tentative de synthèse, Erich Goode et Nachman Ben-Yehudaont proposé de distinguer trois types de paniques morales selon qu’elles émanent des élites, de groupes d’intérêts ou qu’elles émergent spontanément d’inquiétudes populaires – à l’image de la « rumeur d’Orléans », absolument infondée, désignant les commerçants juifs de la ville, et étudiée par Edgar Morin (1969).
Le concept de panique morale a été ainsi appliqué à de nombreux phénomènes, aussi bien éphémères que de plus grande ampleur, la chasse aux sorcières aux xvie et xviie siècles en Europe en étant un exemple. Dans l’introduction à la troisième édition de son livre en 2002, Cohen lui-même identifie sept thématiques familières des travaux sur les paniques morales : les jeunes de milieux populaires, les violences dans le cadre scolaire, les usages de drogues, les abus sexuels sur enfants et les rituels sataniques, la violence des médias, les fraudeurs de l’aide sociale, les réfugiés et demandeurs d’asile.
L’extension du concept, également repris dans le débat public et médiatique pour dénoncer la fabrication de faux problèmes, met en évidence certaines de ses ambiguïtés voire ses limites. Alors qu’au début des années 1960 la réaction des médias de masse aux événements décrits par Cohen semblait assez unifiée, la diversification des sources d’information et le développement de la critique des médias donnent l’impression que les expressions publiques d’inquiétude sont moins consensuelles : la conception initiale de la panique morale, qui supposait une relation verticale entre la société et un groupe jugé déviant, laisserait davantage place à une logique de « guerres culturelles » impliquant un conflit plus horizontal entre les groupes sociaux.
Plus généralement, ce que l’analyste considère comme une « panique », une réaction irrationnelle, peut être considéré par d’autres comme une réponse normale et appropriée face à un problème jugé important. Ce constat soulève le problème de la mesure de la disproportion de la panique et des jugements de valeur sous-jacents. Force est de reconnaître que le concept a d’abord été pensé dans une perspective critique pour attirer l’attention sur certaines disparités flagrantes du traitement médiatique ou politique de certaines questions. Cohen appelait d’ailleurs de ses vœux de « bonnes » paniques morales à propos de réalités souvent invisibilisées ou déniées comme le sont souvent certaines formes de souffrance sociale ou des atrocités laissées dans l’indifférence.
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Écrit par
- Cédric PASSARD : maître de conférences en science politique à l’IEP de Lille
Média
Autres références
-
MORALE (sociologie)
- Écrit par Gérôme TRUC
- 1 332 mots
- 1 média
...entrepreneurs de moral » parviennent à imposer leurs normes et valeurs à l’ensemble d’une société. C’est aussi dans cette perspective qu’est forgée la notion de « panique morale » (Stanley Cohen, Folk Devils and Moral Panics, 1972) pour rendre compte des réactions disproportionnées que peuvent déclencher...