PANTAGRUEL, François Rabelais Fiche de lecture
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Le rire, force vitale
Écrit dans une langue qui, par sa richesse et sa « modernité », constitue, dix-sept ans avant le texte fameux de Du Bellay, une véritable « défense et illustration de la langue française », Pantagruel ne vient pas de nulle part. Rabelais s’inspire, tout en s’en moquant, des « chroniques gargantuines », reprises populaires plus ou moins parodiques des romans de chevalerie narrant les exploits du géant Gargantua. À la littérature chevaleresque, héritière de la légende arthurienne, l’écrivain emprunte en les forçant de nombreux traits : prétention à la véracité (pour des faits évidemment invraisemblables), précision des descriptions (ici caricaturée sous forme d’accumulations et de listes interminables), formules diverses (comme les adresses au lecteur pris à témoin), et, bien sûr, « prouesses » guerrières d’un héros lui-même hyperbolique.
À ce premier récit, d’une fantaisie débridée, troué de digressions, empruntant sans cesse des voies de traverse, nourri d’une imagination débordante et d’une extraordinaire inventivité verbale, succédera deux ans plus tard avec Gargantua (sur le même canevas : naissance, enfance, études, guerre) une œuvre sinon totalement assagie et sérieuse, du moins davantage structurée et préoccupée des idées. Parce qu’elle peut se lire comme un manifeste humaniste, on a tendance à la tenir pour plus aboutie.
Ces idées ne sont certes pas absentes de Pantagruel – elles y figurent notamment dans la lettre de Gargantua –, mais elles s’y laissent plutôt deviner sur les modes symbolique (le gigantisme, l’appétit de connaissances, le corps omniprésent...) et satirique (à l’égard de l’université, de la justice, de la guerre...). Ainsi a-t-on pu voir dans Pantagruel comme une application anticipée de la célèbre image de la « substantifique moelle », présente dans la préface de Gargantua : derrière ou par-delà les délires verbaux, l’hyperbole généralisée et les plaisanteries souvent obscènes ou scatologiques (l’os à croquer), on trouvera le propos transgressif et une nouvelle vision de l’homme (la moelle)... Une telle lecture, suggérée par l’auteur lui-même, ne doit pas faire oublier cette autre formule, tout aussi fameuse et tout aussi centrale : « Rire est le propre de l’homme ». Et de fait, Rabelais donne ici libre cours au comique, sous les formes les plus diverses, mêlant savoirs contemporains et traditions ancestrales, allusions érudites et références populaires, jeux de mots subtils et bouffonneries, jubilation de l’esprit et plaisirs du corps...
Ajoutons que, si Pantagruel donne à ce point une impression de liberté et s’il échappe à toute interprétation univoque, il le doit beaucoup à celui qui en est peut-être, au fond, le véritable héros, Panurge. Personnage fascinant, déconcertant, composite, contradictoire, il transmet au récit son inépuisable énergie tout en y instillant sa profonde ambivalence. S’il est légitime de voir dans Pantagruel une incarnation possible de l’idéal humaniste, Panurge pourrait bien en être la version réelle, « humaine, trop humaine ».
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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